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Mazan, le viol comme fait politique...

Début septembre s’est ouvert le procès dit des viols de Mazan. Pendant quatre mois, 51 hommes seront jugés pour avoir violé Gisèle Pelicot, victime de soumission chimique par son conjoint, Dominique Pelicot qui avait recruté ces hommes sur internet.

Bien sûr, ce qui saute aux yeux, c’est la composition sociologique des accusés. Ils ont entre 26 et 73 ans, ils sont pompiers, infirmiers, bouchers, conseillers municipaux, retraités… Ensemble, ils représentent un échantillon de « tous les hommes ». Ils ne sont pas « fous », ce ne sont pas des « monstres ». Ils sont intégrés socialement, sont mariés, ont des enfants. Leurs seuls points communs c’est d’être des hommes, d’habiter la région et d’avoir violé Gisèle Pelicot. Ce sont des hommes normaux, qui ont tous accepté la proposition de Dominique Pelicot d’aller abuser d’une femme endormie. Ils sont comme une réponse aux discours réactionnaires qui tendent à faire croire que les agresseurs ne sont que des hommes racisés et sont l’incarnation de ce que nous, féministes, expliquons depuis des années : tous les hommes ne sont peut-être pas des violeurs mais chacun d’entre eux peut en être un.

Des faits qui touchent tous les aspects du viol

Mais le procès révèle bien plus encore sur notre société et la culture du viol, et il permet d’aborder le viol dans quasiment tous ses aspects. Notamment, avec la question de la soumission chimique, qui était jusque-là confinée aux viols en soirées à l’aide de GHB, et qui s’est élargie portée par l’association « M’endors pas », fondée par Caroline Darian, la fille de Gisèle. Ici, l’utilisation d’anxiolytiques montre bien comment des médicaments prescrits peuvent être utilisés pour commettre des violences. 

Avec la question également de la connivence entre agresseurs, puisque Dominique Pelicot a aidé d’autres hommes à mettre en place le même procédé, mais qu’il a aussi bénéficié du silence complice de centaines d’hommes qu’il a contactés. 

Mais aussi avec la question de l’inceste et des violences intrafamiliales, puisque Dominique Pelicot avait drogué et photographié sa fille Caroline. Pourtant le doute subsiste encore aujourd’hui sur des faits de violences sexuelles à son encontre. 

Celle encore de la pédocriminalité puisque plusieurs des accusés conservaient des contenus pédopornographiques sur leurs ordinateurs. 

La question, une fois de plus, du consentement et de l’autonomie des femmes sur leur corps, de nombreux accusés expliquant que puisque le mari était d’accord il ne s’agissait donc pas de viol…

Enfin, celle aussi du sentiment d’impunité des hommes, qui, même devant des preuves matérielles telles que celles qui sont présentes à Mazan, continuent de nier les faits encore et toujours. 

Procès de Mazan : le procès du viol en tant que fait social

Le viol est un crime exceptionnel, il bénéficie d’un traitement à part consistant à aller chercher d’abord et avant tout la responsabilité du côté de la victime. Les femmes sont sans cesse soupçonnées d’être la cause du viol qu’elles ont subi, on les suppose vénales et vengeresses. Si elles sont racisées, la fétichisation et l’animalisation finiront de les désigner comme coupables.

Pour Gisèle Pelicot, la situation est d’une certaine façon sans précédent : les faits sont très bien documentés avec des vidéos, des photos, mais aussi des comptes rendus d’expertises gynécologiques et toxicologiques. Le principal protagoniste, Dominique Pelicot, a reconnu l’avoir droguée à fortes doses et avoir recruté des hommes pour la violer. Enfin, Gisèle est une femme de 67 ans, blanche, sans histoire, banale. Sur laquelle il n’y a aucun point d’accroche pour pouvoir lui faire porter la faute.

Puisqu’il n’est plus possible de s’en prendre à la victime, puisqu’on ne peut expliquer, à l’inverse, ces actes par des « coups de folie » et qu’on ne peut plus décrire ces hommes comme des « monstres », alors il faut ouvrir les vraies questions : privé de tous ces écrans de fumée, il ne reste plus que le viol, l’acte en lui-même, la violence parce que violence, l’outil de domination. C’est la raison pour laquelle l’un des avocats des accusés annonce qu’« il y a viol et viol ». Cette fois nous allons parler d’intentionnalité des violeurs. Nous allons devoir prendre à bras-le-corps le débat sur le consentement, la culture du viol et la domination masculine, tant sur le plan social et politique que sur le plan juridique.

Le temps de la colère

Partout, des milliers de femmes sont suspendues à ce procès, car il y a quelque chose qui résonne et fait écho à notre propre histoire. Nous attendons, nous guettons plutôt, nous surveillons ce procès plus que nous le suivons, nous avons flairé l’entourloupe. Nous savons qu’il ne s’agit pas seulement des 51 qui passent en procès en ce moment, qu’il y a eu beaucoup plus de violeurs, au moins 83. Nous savons qu’il y a probablement tous les actes non filmés, non consignés. Nous savons enfin qu’il y a tout le reste : les autres victimes, les autres violences, les autres violeurs, tout ce dont on ne parle pas habituellement.

Mais nous sentons aussi profondément que se joue peut-être un moment historique : Gisèle Pelicot n’est plus une victime anonyme, Mazan n’est plus un fait divers. Nous l’avons investi de son poids politique. Nous ne le lâcherons pas. 

Ce samedi 14 septembre étaient organisées partout en France des mobilisations de soutien à Gisèle. Plus de 10 000 femmes ont manifesté. Nous devons tout mettre en œuvre pour construire un mouvement massif contre les violences faites aux femmes.

Aurélie-Anne Thos

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