Depuis le 7 octobre, les Palestiniens à Gaza subissent le pire événement militaire de l’histoire de l’enclave avec un déferlement de forces et de violences inégalées. Parallèlement, l’État d’Israël a mené l’offensive sur les autres territoires occupé : la Cisjordanie et Jérusalem Est et maintenant toute la région.
Cette offensive a pour but dans toutes ses configurations d'augmenter l’emprise coloniale notamment en expulsant et détruisant des habitations mais également en tuant délibérément et systématiquement les personnes qui résistent — les israéliens appellent cela « tondre la pelouse ».
Lorsque les médias parlent de cette situation — et ce n’est pas souvent — les palestinien·nes sont souvent montré·es comme extrêmement passifs. Il est vrai qu’en apparence l’asymétrie de moyens donne cette impression. Mais la résistance palestinienne est bien vivace à la fois résistance armée, résistance pacifique et juridique. Pourtant l’un des aspects importants de la colonisation israélienne est le morcellement de la société palestinienne : morcellement territorial sans contiguïté géographique, morcellement administratif et morcellement politique. Ce qui fait que de facto chaque groupe de Palestiniens n’a pas les mêmes difficultés ni les mêmes opportunités de réplique/riposte et de soutien.
La société civile Palestinienne
Les Palestinien·nes ne sont pas restés sans rien faire. Sur la scène internationale cette résistance a permis des victoires symboliques importantes : condamnation pour génocide plausible et condamnation de l’occupation et de l’apartheid par la Cour internationale de justice, la reconnaissance de l’État palestinien avec statut d’observateur à l’Assemblée générale de l’ONU. Cette présence a notamment permis d’inscrire des sanctions contre Israël dans la dernière résolution de cette assemblée. La société civile palestinienne c’est aussi la campagne Boycott désinvestissement sanctions (BDS) basée à Ramallah qui continue la lutte pour délégitimer l’État d’Israël, sa colonisation et son apartheid. À la fois politique, idéologique et économique, cette campagne a enregistré des victoires : désinvestissement d’AXA, retrait de PUMA et un certain nombre de boycotts d’événement. Organisée depuis la Palestine, la campagne BDS est le point d’entrée le plus simple pour les personnes souhaitant soutenir les Palestiniens en dehors de Palestine. La direction de la campagne BDS recommande de pousser plus fort notamment sur les banques comme la BNP car elle considère que l’économie israélienne est au bord du précipice et que les désinvestissements massifs des banques pourraient la pousser plus rapidement dans le gouffre.
L’autorité palestinienne
L’Autorité palestinienne (AP) s’est retrouvée dans une situation encore plus inconfortable que les années précédentes où le massacre et l’oubli des Palestiniens se faisait à bas bruit. Régulièrement — et très justement — accusé de trahison et d’être des supplétifs de l’armée israélienne, l’AP contrôle essentiellement quelques villes en Cisjordanie et évidemment la politique de résistance dans les institutions internationales. L’AP est dans une position délicate car à la fois elle ne peut continuer son soutien direct à l’offensive sur Jénine, Tulkarem, etc. et laisser le contrôle aux éléments radicaux. Le fait que l’AP ne négocie pas la libération de Marwan Barghouti est lié au fait que celui-ci, de facto, prendrait sa direction et des purges auraient lieu dans les hautes sphères.
Il y a un grand enjeu personnel pour l’AP à rester en poste. Pour s’en rendre compte, il y a deux millions de personnes en Cisjordanie et 250 000 personnes qui travaillent pour l’AP dont la moitié dans des forces de sécurité. La plupart dans la zone A - Ramallah, Jéricho etc … qui sont pour l’instant relativement épargnées. Car même les zones proches de Ramallah comme Houwara sont des cibles de la colonisation. L’offensive israélienne se concentre surtout sur les camps de réfugiés pauvres où il y a des groupes armés autonomes. Sur le terrain, mis à part les protestations d’usage, l’AP a surtout servi de police contre les groupes armés de Cisjordanie, la plupart venant de ces camps de réfugiés. Il paraît donc difficile à ce stade de considérer l’AP comme faisant partie de la résistance.1
En Cisjordanie
Pourtant, l’État d’Israël a commencé une offensive sans précédent en Cisjordanie, jugeant sans doute qu’à ce stade le soutien occidental est acquis et qu’augmenter les prises de terres pourra passer dans le « solde Gaza » : c’est-à-dire comme faisant partie de l’offensive générale contre le « terrorisme » et contre le Hamas. Pour l’instant encore les colons et l’armée israélienne font le plus facile, ils tuent des manifestant·es, des enfants et détruisent des immeubles. Mais la résistance militaire palestinienne organisée est plus importante et comme indiqué précédemment même l’Autorité palestinienne a beaucoup de mal à contrôler les volontés des groupes autour du Jihad islamique ou du Hamas et même issues de ses propres rangs comme les martyrs d’Al aqsa ou d’autres groupes plus radicaux comme l’Antre du lion2. L’émergence de nouveaux groupes armés palestiniens n’est pas un phénomène récent. De tels groupes se sont formés au cours de la première et de la deuxième Intifada, ou pendant toute période d’escalade de l’oppression ou de restriction des droits des Palestiniens sous l’occupation israélienne.
Une nouvelle génération de groupes armés palestiniens aux stratégies, tactiques et objectifs divers s’est formée depuis 2021, notamment en Cisjordanie occupée, en réponse aux politiques israéliennes répressives, à l’augmentation des raids violents, à la poursuite de la colonisation et à l’absence de voie politique.3
À Gaza
Gaza a toujours été un haut lieu de résistance. Le retrait des colonies en 2005 est essentiellement dû au coût prohibitif de la surveillance et de la protection de celles-ci — et aussi dans le but de se focaliser sur la Cisjordanie. C’est aussi de fait l’endroit où l’Autorité palestinienne a eu le moins de prise et a complètement disparu après les guerres intergroupes de 2007 suite à la volonté du Fatah de renverser le résultat électoral.
Depuis le blocus de Gaza, le principal parti politique qui y organise la vie est le Hamas, qui a aussi une branche militaire. Les Gazaoui·es ont plusieurs fois organisé·es des protestations contre la colonisation, contre le mur de séparation. Plusieurs manifestations ont eu lieu l’année passée. Mais depuis octobre, la résistance est principalement militaire. Les combattants de plusieurs groupes armés continuent d’intervenir contre les forces israéliennes. Les principales forces sont les groupes armés du Hamas (Al Qassam), du Jihad islamique (Al Quds) du FPLP et aussi du Fatah (Brigade des Martyrs d’Al Aqsa). Ces groupes armés interviennent très régulièrement contre les forces au sol. Comme on peut le voir dans des vidéos de combattants dans lesquelles les cibles sont signalées par des triangles rouges. Ces groupes armés revendiquent des succès contre plusieurs milliers d’engins — tanks, bulldozers, transports de troupes. Les chiffres officiels indiquent que depuis le début des opérations terrestres à Gaza le 27 octobre 2023, l'armée israélienne compte 346 soldats israéliens tués et plus de 2 300 blessés.4 Compte tenu de la fréquence des attaques attestées par les vidéos, il semble que ce chiffre soit très sous-estimé — probablement en ignorant les pertes des groupes de mercenaires déployés sur la zone.5
En outre et malgré les destructions et les contrôles de plusieurs zones dans Gaza, des dizaines de roquettes ont été tirées vers le nord (Ashkelon) et vers le Naqab (Beer Sheva). Plus qu’un résultat militaire, ces tirs de roquettes montrent bien le faible contrôle qu’exerce l’armée israélienne sur les groupes armés. Visiblement, il est plus facile de détruire des bâtiments et de tirer sur des camps de réfugié·es. Cependant l’armée israélienne continue sa propagande sur les boucliers humains pour justifier ses massacres comme celui du camp de réfugiés de Nuseirat dont le bombardement pour tuer l’un des dirigeants du Hamas a fait 90 morts. Comme d’habitude chaque accusation est une confession : il n’y a aucune preuve de l’utilisation de boucliers humains par le Hamas et autres groupes alors que c’est extrêmement documenté côté israélien. Cette preuve serait dans tous les cas inutile à établir vu le caractère à la fois massif et aveugle des bombardements israéliens.
Quelles sont les Perspectives ?
Les principales demandes concernent un cessez-le-feu. La vérité est que les principales factions de la résistance à Gaza (le Hamas et le Jihad islamique) ont déclaré qu’elles accepteraient tout arrangement pour gouverner la bande de Gaza après la fin de la guerre, à condition que cet arrangement soit palestinien et non imposé par Israël.6 L’Autorité palestinienne a également accepté de jouer un rôle dans la gestion de la bande de Gaza, à condition de rétablir l’unité politique avec la Cisjordanie. Le gouvernement israélien est le seul à avoir rejeté toutes les propositions pour le « jour d’après » et n’a même pas spécifié de plan clair pour ce jour, car il rejette l’existence même du Hamas et tout rôle pour l’Autorité palestinienne, et refuse d’inclure toute solution politique qui garantisse ne serait-ce qu’une fraction des droits nationaux des Palestiniens. Le Hamas et les autres factions de la résistance ont appelé à la fin de l’agression contre Gaza dès le premier jour, mais ils se sont toujours heurtés au refus et à l’inflexibilité d’Israël. On l’a vu, la volonté d’éradication du Hamas de la part d’Israël n'est que de la propagande. Car même si le Hamas disparaissait, de nouveaux groupes armés palestiniens continueraient à émerger pour lutter contre l’occupation israélienne, avec un consensus émergeant parmi les groupes de défense des droits qui considèrent le régime israélien comme un apartheid. En outre, la violence nécessaire à une opération militaire visant à démanteler ou à affaiblir le Hamas pourrait s’avérer autodestructrice, engendrant de nouvelles formes de résistance armée et la création de nouveaux groupes palestiniens.
En effet, le calcul d’Israël pour résoudre ses problèmes de sécurité ne comporte pas de solution politique, sans laquelle aucune solution militaire ne peut donner de résultats durables. Et au moins à Gaza les groupes armés sont paradoxalement la force qui empêche le plus de massacres.7
La résistance et la résilience palestiniennes conduisent à montrer l’impasse de la tactique militaire d’Israël. La guerre colonisatrice permanente tient bien plus de la fuite en avant que d’une solution politique. Israël espère en mettant le feu partout que, à terme, les gains territoriaux à Gaza, à Jérusalem, en Cisjordanie et pourquoi pas au Liban, deviennent « permanents ». Pour Gaza, probablement que l’annihilation totale n’est pas possible (même si visiblement souhaitée du côté des dirigeants israéliens) ; Israël se contenterait d’un champ de tentes permanent payé par l’ONU entouré de barbelés, de corridors et de zones tampons.8 C’est pourquoi il faut que la négociation d’arrêt des hostilités inclue a minima le retrait de Gaza dans son intégralité.
Cela dit, à l’inverse la résistance armée ne suffira pas à sortir sans mouvement de l’extérieur, que ce soit les campagnes de boycott ou la pression directe via la mobilisation (les deux n’étant pas mutuellement exclusives d’ailleurs). « Pour que la non-violence marche il faut que ton opposant ait une conscience. Les États-Unis n’en ont aucune » avait dit Stokely Carmichael. Cela s’applique également à Israël.
Édouard Soulier
- 1. Emad Moussa Israel-PA security coordination: Protection for whom? New Arab, 14 octobre 2021.
- 2. A Garreau Résistance populaire, soutien international et répression coloniale en Cisjordanie,. Yaani, 12 juin 2024.
- 3. Jessica Buxbaum Amid Gaza’s devastation, Israel wages another war in the West Bank. New Arab, 02 novembre 2023 ; Sally Ibrahim A new generation of Palestinians is emerging to resist Israel. NewArab, 6 octobre 2022 ; Mat Nashed How Israel’s raids on Jenin only fuel Palestinian resistance. Al Jazeera, 2 juin 2024 et Mariam Barghouti, How growing Israeli violence in the West Bank is fuelling Palestinian resistance. NewArab, 12 août 2024.
- 4. Swords of Iron: IDF Casualties. www.gov.il
- 5. Palestinian resistance movements fight back against Israeli occupation in Gaza. Daily News Egypt, 22 mai 2024.
- 6. Dario Sabagh, Why dismantling Hamas won’t end Palestinian armed resistance. New Arab, 18 octobre 2023.
- 7. Sébastian Seibt, Israeli army in urgent need of troops amid rising casualties in Gaza. France24, 19 juin 2024.
- 8. Comme le proposait explicitement dès le 13 octobre, Danny Ayalon dans un entretien accordé à Al Jazeera.