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L’extrême droite un danger mortel (aussi) pour l’école...

Le point de départ de ce texte a été la période électorale que nous avons traversée en ce mois de juin. Ces quelques semaines ont été éprouvantes pour beaucoup de monde, y compris pour les profs. 

Nous avons été beaucoup à devoir nous poser la question très concrète « qu’est-ce qu’on fait à la rentrée si on se retrouve avec un gouvernement d’extrême droite ?» voire « est-ce vraiment possible de rester enseignant·e de l’Éducation nationale dans ces conditions ?»

Heureusement, même si le répit est de courte durée, l’extrême droite n’a pas été majoritaire et n’est pas techniquement au gouvernement. Cependant, à l’issue de cette période électorale, on doit faire un constat : le bastion de l’Éducation nationale qui nous semblait si imperméable à l’extrême droite n’est plus si étanche que cela. Il est donc plus que jamais urgent de se poser la question de la vision de l’école au sein de l’extrême droite et de comment cette vision fait déjà son chemin dans l’institution.

Les partis d’extrême droite et l’École : historique d’une relation contrariée

« Parmi les tâches qui s’imposent au gouvernement, il n’en est pas de plus importantes que la réforme de l’ducation nationale » écrivait Pétain en août 1940 dans une lettre aux Français. Jusqu’à Le Pen et Zemmour aujourd’hui, cela illustre parfaitement l’importance que l’extrême droite a toujours accordée à la question de l’École.

Il s’agit d’ailleurs d’une préoccupation essentielle de son électorat, comme l’a relevé le sociologue Félicien Faury dans ses travaux sur « Les électeurs ordinaires ». Les statistiques montrent qu’en majorité, les électeurs du RN ne sont pas allés très loin dans leur parcours d’études. Et donc même si cela ne les a pas forcément empêchés d’avoir une certaine réussite sociale, ils nourrissent un fort sentiment de déception vis-à-vis du système éducatif. Ils sont très sensibles aux discours déclinistes voire catastrophistes sur la dégradation de l’école publique, ce qui les conduit à adhérer aux solutions proposées par l’extrême droite en matière éducative : favoriser l’école privée d’une part, ségréguer et écarter les enfants issus de l’immigration d’autre part.

On ne peut cependant réduire le rapport de l’extrême droite à l’école à un simple clientélisme électoral. Dans sa stratégie de conquête du pouvoir, il s’agit en effet d’une bataille idéologique décisive, nécessaire pour s’assurer l’hégémonie culturelle. Ou ce que Marion Maréchal, en fondant son école de sciences politiques (l’ISSEP) appelait faire de « la métapolitique ».

En ce qui concerne son influence chez les actrices et acteurs de l’école, l’extrême droite s’est longtemps concentrée uniquement sur les parents. On se souvient des nombreuses paniques morales qu’elle a alimentées, depuis la Journée de retrait de l’école, issue des milieux soraliens et ciblant les ABCD de l’égalité femmes-hommes, jusqu’aux « parents vigilants » de Zemmour, qui appelle à dénoncer les enseignant·es qui ne respecteraient pas une soi-disant neutralité sur les questions de société.

On comprend donc que la relation entre les partis d’extrême droite et le corps enseignant a été, elle, beaucoup plus compliquée. Jean-Marie Le Pen parlait de « racaille enseignante », « aux blue-jeans crasseux, fumeurs de shit invétérés ». Sa fille Marine, elle, tente désormais de conquérir ce qui a été l’une des dernières professions étanches à la montée du vote à l’extrême droite, en tentant de dissiper ce qu’elle qualifie de « malentendu », et en louant dans son programme le dévouement des profs, eux aussi victimes de la défaillance d’un État pas assez ferme.

Cela se traduit par la création d’un premier collectif d’enseignants patriotes, le collectif Racine, parti avec Philippot, puis un second, « École et Nation », qui a rejoint Zemmour. Et même si l’extrême droite est naturellement très méfiante vis-à-vis des organisations syndicales, elle affiche ici sa proximité avec le SNALC et FO.

Cette entreprise de séduction finit malheureusement par porter ses fruits, puisqu’aux européennes de 2024, 20% des enseignant·es ont voté pour l’un des deux partis d’extrême droite.

Ceux qui ont préparé le terrain à l’extrême droite

Avant toute chose, comprenons qu’il existe deux visions de l’école qui s’opposent :

- Une école émancipatrice visant à donner à tou·tes l’accès aux savoirs.

- Une instruction cherchant à uniformiser et à apprendre l’obéissance.

La vision de l’école inclusive est assez récente (années 1960), mais s’est imposée (au moins en surface) dans l’Éducation nationale avec l’essor des sciences de l’éducation et de la pédagogie. On a pu ainsi croire que cette vision allait l’emporter, amenant dans sa continuité une École émancipatrice. Pourtant, différents courants s’y opposent reprenant, de manière plus ou moins consciente, des rhétoriques qui pavent le chemin de l’extrême droite.

Ces discours sont en partie issus d’une vision décliniste (le fameux « le niveau baisse, les élèves d’aujourd’hui sont ignares ») avec en sous-texte l’idée (explicitée ou non) que tou·tes les élèves ne sont pas aussi capables les un·es que les autres. Dans ce discours le collège unique devient notamment un outil d’uniformisation par le bas : on rabaisserait tou·tes les élèves à un niveau médiocre (rhétorique du FN au début des années 2000).

L’émergence de ces discours n’est pas limitée à l’extrême droite ou à la droite. Plusieurs courants issus de la gauche ont contribué à les rendre audibles. 

Dès les années 1980, le courant des « antipégagogistes » fondé par Jean-Claude Milner (ancien militant maoïste) dénonce les dérives de ce qu’il nomme « l’idéologie pédagogiste ». Des groupes lambertistes contribuent à cette mouvance, notamment en participant à la fondation du syndicat FO qui défend un « conservatisme pédagogique ». Au gouvernement, Fabius et Chevènement actent le renoncement de la vision émancipatrice au profit d’un « néorépublicanisme » où est remis en avant l’instruction plutôt que l’éducation. Depuis, le discours « antipédago », de plus en plus marqué à droite, fait son chemin dans les médias (par exemple avec Natacha Polony) et dans les sphères de gouvernement, notamment sous Nicolas Sarkozy.

Dans les années 2000, émerge un autre débat : la « laïcité » devient un mot d’ordre que l’on retrouve partout dans l’Éducation nationale et amène, sous couvert d’une pseudo-émancipation, à préférer l’assimilation à l’inclusion. Dans ces discours, les courants issus de la gauche ne sont pas si rares (pensons au Printemps Républicain).

Plus récemment, Blanquer marque un nouveau tournant dans les discours éducatifs et ouvre grand la porte à l’extrême droite. En effet, il attaque l’Éducation nationale (et les enseignant·es) par le biais de la lutte contre « l’islamophobie et le wokisme », donnant un poids fort aux paniques morales d’extrême droite autour de l’école.

Attal poursuit dans cette voie avec des discours prônant un retour à l’autorité et des propositions de réforme proches de celles de l’extrême droite (uniforme, « retour aux bases », etc.). Cela s’accompagne d’une volonté de réformer la justice : l’école n’est plus la solution privilégiée pour « éduquer les jeunes ».

Quand « on essaie déjà » l’extrême droite à l’École

Pour mieux prédire ce que ferait l’extrême droite dans le domaine de l’école, on peut commencer par faire le bilan des politiques qui ont été menées, dans la période contemporaine, dans les pays ou dans les villes où elle a accédé au pouvoir.

Au Brésil, Jair Bolsonaro s’est fait élire en 2018 en s’appuyant notamment sur un puissant mouvement appelé « Escola sem partido » ou « école sans parti », un groupe conservateur qui voulait lutter contre l’influence des pédagogies émancipatrices comme Paolo Freire. Cela s’est traduit par une reprise en main de l’éducation par les églises évangéliques et même par l’armée, avec la création d’instituts militaires pour scolariser une partie des jeunes.

À la même période, le mandat de Donald Trump aux États-Unis a ouvert les vannes dans de nombreux États pour une série de campagnes anti-woke avec entre autres l’interdiction de certains ouvrages, notamment d’éducation à la sexualité, et en parallèle une accentuation de la politique dite du « school choice » qui vise à favoriser les écoles privées.

Si ces deux expériences ont été limitées dans le temps, il n’en est pas de même pour Viktor Orban, qui, après l’avoir été entre 1998 et 2002, est au pouvoir depuis 2010. Il a donc pu développer sa politique en matière d’éducation sur le temps long. On y retrouve les mêmes attaques conservatrices contre l’éducation sexuelle et « les études de genre » (ce qui a conduit au déménagement de l’université CEU), mais très progressivement et au départ à travers des lois plutôt techniques comme la labellisation des manuels scolaires ou la mise en place d’une charte éthique pour le personnel enseignant. À mesure que cette politique s’est mise en place, une contestation est montée, derrière le slogan « Tanitanek » (je voudrais enseigner), mais elle a fait face à une répression très sévère avec une vague importante de licenciements.

Le dernier exemple en date est celui de l’Italie de Giorgia Meloni, qui vient de faire adopter une loi de fermeté à l’école, avec le retour d’une « note de comportement » pouvant entraîner le redoublement, et qui avait été instaurée sous Mussolini avant d’être abandonnée par la suite.

Quant à la France, qui reste un pays encore très centralisé, le pouvoir des maires en matière d’éducation reste encore très limité mais les politiques menées dans les villes RN permettent néanmoins de saisir les grandes orientations. Au travers des prérogatives municipales comme la cantine ou les activités périscolaires, c’est bien un modèle basé sur la ségrégation et l’exclusion qui est mis en place. Cela passe par l’augmentation des tarifs, la fin de la gratuité de la cantine pour les familles les plus modestes comme au Pontet, ou l’interdiction des activités périscolaires aux enfants dont l’un des deux parents au moins est au chômage, à Béziers. Sans compter, évidemment, l’expérimentation de l’uniforme, qui était une lubie des maires d’extrême droite comme Ménard, avant que Gabriel Attal s’en saisisse à son tour.

Que serait l’École de l’extrême droite en France ?

En premier lieu, on pense aux programmes qui seront revus pour coller aux valeurs d’extrême droite, sous couvert de « revenir aux fondamentaux ».

En histoire-géographie, la réécriture du programme est certaine avec une remise en avant du « roman national » et une vision fantasmée de la colonisation. En SES (sciences économiques et sociales), la sociologie et les théories économiques de gauche passeront sûrement à la trappe. En sciences de la vie et de la terre (SVT), on imagine bien l’impact quand on devra parler de biologie humaine (sexe, reproduction, etc.), des théories de l’évolution ou des impacts environnementaux.

En science, de manière générale, l’impact sera fort. L’extrême droite a une vision figée des sciences (il faudrait une vérité absolue) or cela va contre la démarche scientifique réelle : l’enseignement des sciences va aujourd’hui de pair avec un travail sur l’esprit critique qui est opposé à la conception de l’école de l’extrême droite.

Dans les disciplines artistiques, la pratique sera possiblement modifiée pour mettre en avant une vision très fermée de l’esthétique. Les activités extra-scolaires risquent de se voir grandement diminuées voire de majoritairement disparaître (sauf certaines pratiques sportives).

D’un point de vue plus fondamental, la vision autoritaire de l’école la transforme en lieu où on « apprend à obéir » et non plus à réfléchir. Sur cette même ligne, l’éducation nationale devient une structure basée sur l’assimilation nationaliste forçant ainsi les élèves à « rentrer dans le moule » ou à être exclu·es. Bien évidemment, une partie de nos élèves ne pourront pas répondre à ces injonctions et se verront de fait ostracisé·es dans ce système éducatif : les élèves racisé·es, perçu·es commes musulman·es, mais également des élèves handicapé·es, ainsi qu’un certain nombre d’élèves issu·es des milieux populaires. Cette exclusion se fera en partie par des formes d’élitisme, dont une sélection le plus tôt possible (notons que les études sociologiques montrent qu’une spécialisation à un plus jeune âge renforce le poids des stéréotypes). N’oublions pas ici que pour les élèves, les établissements scolaires sont un lieu central de sociabilisation !

Comme cela a été évoqué dans la partie précédente, il est assez clair que tous ces changements s’accompagneront d’un contrôle de plus en plus fort des enseignant·es.

Que faire pour échapper au désastre ?

D’abord, continuer d’énerver les réactionnaires en utilisant les marges que nous laisse encore l’institution scolaire pour enseigner l’égalité, l’écologie, la pensée critique. Utiliser l’apport des pédagogies émancipatrices, de Freinet à la pédagogie institutionnelle, afin de faire exister, même un bref moment, cette société plus démocratique que nous essayons de construire.

Ensuite, combattre pied à pied le courant réactionnaire y compris sa partie issue des rangs de « la gauche ». La banalisation des discours et pratiques islamophobes, validistes, et le culte de l’autorité sont des brèches par lesquelles s’engouffre l’extrême droite. À nous de combattre ces fausses évidences.

Il faut aussi, malheureusement, convaincre (à nouveau) les milieux profs et parents d’élèves du danger spécifique que représente l’extrême droite pour l’éducation. Cela s’appuie sur une analyse de son programme et de sa politique, en pointant notamment ce qui la distingue, pour le pire, de celle de Macron que nous continuons à combattre.

Car en parallèle, il est indispensable de continuer à lutter pour redonner les moyens au service public d’éducation de répondre à ses missions. Sans éclipser les autres raisons du vote RN, et notamment la prédominance du racisme, réparer les dégâts causés par les politiques libérales permet aussi de le priver d’une partie de son carburant électoral. C’est un vaste chantier, dans un contexte de recul de notre rapport de force, mais il existe des points d’appui, comme la lutte pour le plan d’urgence 93 entamée l’année dernière.

Enfin, il s’agit de réaffirmer notre projet d’une école pour l’émancipation, qui s’oppose à la fois à celui d’une école nationaliste porté par l’extrême droite, mais aussi à l’école capitaliste que nous ne cessons de dénoncer. On ne pourra gagner la bataille idéologique en se contentant de défendre l’école telle qu’elle est, et le rôle d’un parti révolutionnaire est bien de faire exister un autre imaginaire, pour la société et pour son école.

Raphaël Alberto
Tamara DeVita

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