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« La période appelle à faire du neuf sur les relations syndicats – partis »...

Entretien avec Benoît Teste

Après l’expérience du Nouveau Front populaire et la mobilisation contre l’extrême droite, nous avons organisé, lors de notre université d’été 2024, une table ronde réunissant des représentant·es de la CGT, de la FSU et de Solidaires, pour faire le point sur les actions communes et les combats à venir.

Après les élections européennes et législatives, avec l’arrivée de Michel Barnier au gouvernement, quelle est aujourd’hui l’actualité de la lutte syndicale contre l’extrême droite ?

Nous l’avons toujours envisagée comme une lutte au long cours, de fond et sur tous les fronts. La ligne que nous avons tenue dans la période électorale est toujours d’actualité : pour battre l’extrême droite, il faut non seulement lutter pied à pied contre ses idées, en particulier mener le combat antiraciste, mais il faut aussi lutter contre la désespérance sociale sur laquelle le RN prospère. Ne pas se contenter de dénoncer le racisme et l’imposture sociale de l’extrême droite, mais être sur le terrain des propositions pour montrer que d’autres voies sont possibles.

Un travail intersyndical est en cours pour lutter contre les discriminations sur les lieux de travail : tracts, matériel commun, etc., ce sera un bon début !

Dans l’éducation, une intersyndicale large existe aussi, la vigilance y est particulièrement nécessaire car là ce sont beaucoup les réseaux zemmouriens qui sont à la manœuvre, remettant en cause en tant que parents d’élèves le travail des enseignants, critiquant l’éducation à la vie affective et sexuelle, etc. On voit bien que, sous cet aspect-là aussi, c’est une question syndicale : les idées d’extrême droite sont une attaque directe contre une conception des métiers de l’enseignement dès lors qu’on considère que ceux-ci doivent viser l’émancipation.

La coalition des droites au pouvoir avec le gouvernement Barnier est placée de fait sous l’arbitrage du RN. Poursuite de l’austérité budgétaire, casse des services publics, chasse aux migrant·es, stigmatisation des personnes racisées et des plus démunies, accroissement des inégalités, nomination au gouvernement de membres issus de la manif pour tous avec leur lot d’homophobie et de misogynie, de remise en cause du droit à l’IVG... autant de signes qui qualifient un gouvernement fait pour servir l’intérêt des puissants contre la majorité sociale au risque de favoriser et de légitimer davantage le RN. À nous de dénoncer cette situation.

L’aspiration à l’unité est importante chez les travailleuses et travailleurs, comme l’a montré la mobilisation contre la réforme des retraites en 2023, puis le Nouveau Front populaire. Celui-ci est le résultat d’un élan politique et syndical pour l’unité de notre classe contre la menace d’extrême droite. Comment voyez-vous cette articulation entre le syndical et le politique aujourd’hui ?

Un enseignement de la période électorale nous semble être que les syndicats et la société civile peuvent participer d’une dynamique, d’un « état d’esprit » unitaire qui pèse sur le réel. Il a beaucoup compté, que ce soit dans la constitution même du NFP ou au moment de faire « front démocratique » en vue du second tour. D’un point de vue syndical domine le sentiment d’avoir su, devant l’imminence du péril, faire un pas de plus, certes en prenant quelques risques dans l’implication dans une dynamique politique, celle du Nouveau Front populaire pour ce qui concerne la FSU et la CGT, et aussi dans celle qui a limité ses expressions à faire « front démocratique » contre l’extrême droite, cette fois-ci dans un cadre à 5 syndicats, tout en préservant notre indépendance (c’est du moins ce dont nous avons été soucieux). Donc la période appelle à faire du neuf sur les relations syndicats – partis, qui ne sauraient être l’instrumentalisation des uns par les autres, mais qui ne sauraient être non plus une course « chacun dans son couloir ». Les syndicats ont des exigences qu’ils maintiennent quelles que soient les forces au pouvoir, car ils sont fondamentalement des contre-pouvoirs.

Nous cheminons encore sur les formes que doivent prendre ces relations renouvelées. Nous sommes pour formaliser davantage, sans les figer, les cadres d’échange. Dans l’immédiat, nous attendons le soutien concret des partis du NFP à nos luttes, tout comme ils peuvent compter sur une expression positive de notre part sur les mobilisations plus directement politiques auxquelles ils appellent comme les 7 et 21 septembre. Pour la FSU, il y a un enjeu fort à préserver et renforcer l’unité, tant sur le plan social que politique, face au péril que représente la possibilité d’accession au pouvoir de l’extrême droite. La FSU pourrait proposer dans un premier temps de co-construire des initiatives développant nos projets et portant le débat sur les choix sociaux, économiques et budgétaires sur le modèle des universités d’été.

Quelle recomposition ou restructuration vous semble nécessaire pour renforcer le syndicalisme de transformation sociale, en particulier qu’en est-il des discussions actuelles entre la CGT, la FSU et Solidaires ?

Nous partons d’un constat : le syndicalisme reste trop divisé, ce qui peut représenter un obstacle à la mobilisation des salariés.

La FSU porte, depuis sa création, et réaffirme depuis au moins 5 congrès, l’idée de réunir le syndicalisme de transformation sociale. Elle identifie généralement la CGT et Solidaires comme les forces avec lesquelles elle souhaite avancer tout en précisant toujours que ce rapprochement est « sans exclusive » des forces qui pourraient être intéressées.

Ce faisant, la FSU vise à tenir l’équilibre entre, d’une part, l’affirmation d’un projet syndical « de transformation sociale », c’est-à-dire qui pense que le syndicat a vocation à lutter pour changer l’ordre des choses (et qu’il n’a donc pas qu’une visée corporatiste, se bat aussi pour un projet de société et s’inscrit dans la gauche politique et sociale en visant le dépassement du capitalisme) et, d’autre part, la recherche constante d’une unité d’action de l’ensemble du syndicalisme, sans volonté de délimiter les contours d’un « clan » au sein du syndicalisme français, qui serait celui des « radicaux » face à d’autres qui seraient « modérés », l’intersyndicale contre la réforme des retraites ayant montré que ces lignes de partage n’étaient pas pertinentes. La dynamique doit avoir un effet d’entraînement d’autres forces.

La FSU se donne comme horizon la création d’un « nouvel outil syndical ». C’est à dessein qu’elle n’en définit pas précisément les contours puisque c’est le processus lui-même qui doit permettre, étape après étape, de déterminer ce qu’il est possible et pertinent de construire.

Depuis 2009, diverses initiatives sont prises : travail en commun sur le fond des sujets, stages, rencontres, etc. Si cela n’a pas débouché sur les cadres plus systématiques qui étaient annoncés au départ, on peut affirmer que cela a au moins permis de rapprocher fortement les équipes syndicales, nationales comme départementales : l’intersyndicale CGT – FSU – Solidaires est une réalité permise par cette impulsion et cet « horizon » que constitue la perspective de rapprochement.

La CGT a relancé le jeu, après son congrès, pour enclencher une nouvelle phase de travail en commun avec la FSU. Constatant d’une part une forme de pause voulue par Solidaires et d’autre part la main tendue par la CGT pour entamer un travail avec la seule FSU, la FSU a choisi de se saisir de cette possibilité tout en gardant la perspective d’y raccrocher rapidement d’autres forces dont Solidaires.

Le débat, faute d’être suffisamment concret, est difficile à avoir, cela doit être l’ambition des prochaines étapes de le rendre intelligible pour que tout le monde puisse se saisir des enjeux et contribuer à ces échanges afin que ce ne soit pas un processus d’appareils.

Comment réfléchissez-vous aux réponses que doit apporter le syndicalisme face aux mutations du salariat (ubérisation, précaires, intérimaires, syndicalisme de boîte ou de branche...) ?

Comme dans l’ensemble du monde du travail, la précarisation conduit à une moindre inscription dans les collectifs de travail et donc dans les combats syndicaux, nous le constatons avec le développement exponentiel du non-titulariat dans la fonction publique. L’enjeu pour le syndicat, est de s’ouvrir davantage, inciter à s’engager, ce qui nécessite dans le cas d’espèce de défendre l’égalité en faisant savoir, haut et fort, que les droits syndicaux des non-titulaires sont les mêmes que ceux des titulaires.

Sur le syndicalisme en général, les questions de son unité, de son efficacité, de sa démocratie interne sont essentielles. Les syndicats doivent faire la démonstration qu’ils sont les outils pertinents de défense des intérêts du monde du travail, que les salarié-es dans leur diversité peuvent s’y retrouver, et que seule l’adhésion permet de se donner la force du nombre. Sans avoir la prétention de proposer un modèle de syndicalisme valable partout et toujours, la FSU a un apport singulier à faire dans la réflexion sur le « bon niveau » de la structuration syndicale : le syndicalisme qu’a développé la FSU tente de faire la démonstration qu’un syndicalisme de métier n’est pas synonyme de repli corporatiste, mais qu’au contraire organiser les salariés par champs professionnels permet d’élaborer au plus près et nourrit concrètement l’action sur toutes les questions, si tant est que l’on s’inscrit dans la perspective de la transformation sociale, si tant est, donc, qu’on relie la plus corporative des revendications à l’intérêt général, si tant est, de l’autre côté, qu’on entre dans la plus « transversale » des mobilisations avec une préoccupation syndicale, c’est-à-dire qu’on la relie aux conditions concrètes d’exercice d’un métier. Par ailleurs, la pratique de la synthèse, la prise en compte du pluralisme par la reconnaissance du droit de tendance est un élément important du fonctionnement de la FSU.

Enfin, comment envisagez-vous le syndicalisme alors que la planète brûle ?

Exploitation du travail, du vivant et des ressources se combinent et mènent à la catastrophe annoncée.

Ce sont des politiques de rupture qui doivent être mises en place. Nous y avons intérêt en tant qu’habitantes et habitants de la planète bien sûr, ce sont les conditions d’habitabilité même de la planète qui sont en danger, et nous y avons intérêt aussi en tant que travailleurs puisque c’est bien le productivisme qui détruit la planète et renforce la perte de sens de tous les métiers. Nous avons un rôle majeur pour définir ce que doit être « travailler et produire autrement », c’est-à-dire dans un monde limité, et en particulier démocratiser le travail pour réorienter les productions. Là aussi, il faut faire de la question écologique une question pleinement et entièrement syndicale, il y a urgence ! C’est tout ce à quoi la FSU s’emploie en particulier dans le cadre de l’alliance écologique et sociale, avec Solidaires et la Confédération Paysanne mais aussi avec des associations et ONG (Greenpeace, Oxfam, les Amis de la Terre et Attac). o

* Benoît Teste est secrétaire national de la FSU.

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