Après l’expérience du Nouveau Front populaire et la mobilisation contre l’extrême droite, nous avons organisé, lors de notre université d’été 2024, une table ronde réunissant des représentant·es de la CGT, de la FSU et de Solidaires, pour faire le point sur les actions communes et les combats à venir.
Après les élections européenes et législatives, avec l’arrivée de Michel Barnier au gouvernement, quelle est aujourd’hui l’actualité de la lutte syndicale contre l’extrême droite ?
Notons pour commencer que la CGT a pris l’initiative d’une première journée de mobilisation, le 1er octobre, comme première étape d’un rapport de force contre ce nouveau gouvernement sous la surveillance de l’extrême droite. Nous nous réjouissons que d’autres organisations aient fait le choix d’y participer, permettant une expression unitaire. Nous n’entendons pas en rester là, il ne vous a pas échappé que l’intersyndicale large a de nouveau exprimé son exigence de l’abrogation de la retraite à 64 ans. Au fond, d’ailleurs, pour revenir sur l’extrême droite, elle reste une imposture sociale qui permet au gouvernement le plus à droite de la 5e République de justifier son existence : nous le voyons avec la proposition de loi du RN visant à abroger la réforme des retraites… Cette proposition de loi est une escroquerie car non seulement elle n’arrivera jamais au Sénat mais, de plus, elle n’est pas financée.
Nous nous devons donc de continuer à démasquer l’extrême droite et ne pas avoir de déni, ne pas faire comme si rien ne s’était passé : l’extrême droite a failli arriver au pouvoir. Si on ne prend pas la mesure de cette alerte, la catastrophe se produira. Il faut donc changer de braquet en la matière. L’intersyndicale a ainsi décidé de lancer une campagne contre le racisme et l’antisémitisme sur les lieux de travail. Nous considérons par ailleurs qu’il n’est pas possible de lutter contre le racisme sans lutter contre l’antisémitisme, et que l’on ne peut pas lutter contre l’antisémitisme sans lutter contre le racisme et l’islamophobie.
L’aspiration à l’unité est importante chez les travailleuses et travailleurs, comme l’a montré la mobilisation contre la réforme des retraites en 2023, puis le Nouveau Front populaire. Celui-ci est le résultat d’un élan politique et syndical pour l’unité de notre classe contre la menace d’extrême droite. Comment voyez-vous cette articulation entre le syndical et le politique aujourd’hui ?
Si la CGT a donc décidé de changer de braquet dans sa lutte contre l’extrême droite, c’est aussi qu’elle dit et assume qu’elle a toujours eu et aura toujours un positionnement politique. C’est le sens politique de la double besogne. En ce sens, nous assumons notre participation explicite à faire en sorte que, grâce à notre mobilisation (collective), nous avons déjoué les pronostics et barré la route de Matignon à Jordan Bardella.
Ceci étant posé, nous sommes face à l’écueil du fatalisme, écueil qui nourrit l’extrême droite car Macron nous a volé la victoire et a installé un gouvernement sous surveillance de l’extrême droite. Nous avons néanmoins empêché le RN d’entrer à Matignon et sanctionné Emmanuel Macron, qui a perdu plus de 70 députés. Nous sommes donc dans une bien meilleure situation que s’il n’avait pas dissous l’Assemblée nationale. En conséquence de quoi, pour la CGT, l’articulation syndical/politique, aujourd’hui, doit s’accompagner de l’analyse des nouveaux leviers qui existent, tout en étant bien conscients que le NFP n’a pas de majorité absolue : le pouvoir se déplace à l’Assemblée nationale, ça ouvre le jeu.
Nous sommes donc en lien permanent avec les partis politiques du NFP, nous avions d’ailleurs envoyé nos propositions pour nourrir le programme, beaucoup d’entre elles avaient été reprises, sur les retraites, les salaires… D’autres manquent, comme le retour aux tarifs régulés de l’énergie ou la suppression des ordonnances travail, par exemple. Ce programme, certes imparfait, marque une rupture qui permet de changer la vie des travailleurs et travailleuses. L’articulation se vit donc dans le dialogue permanent entre nous et, pour la CGT, la construction de mobilisations sociales.
Quelle recomposition ou restructuration vous semble nécessaire pour renforcer le syndicalisme de transformation sociale, en particulier qu’en est-il des discussions actuelles entre la CGT, la FSU et Solidaires ?
Nous avons engagé une phase de travail avec la FSU, dans un objectif premier de travail concret sur le syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire. Nous insistons sur ces deux aspects : nous aspirons en effet à la transformation sociale mais nous aspirons aussi à ce que ce syndicalisme soit majoritaire.
Ce travail n’est pas nouveau, nous avions, dans nos différents congrès syndicaux, ouvert des débats sur le sujet. Nous avons fait le choix d’aller plus loin, de mettre en place un groupe de travail qui a vocation à prendre des initiatives concrètes. Nous faisons ce travail d’abord avec la FSU car si Solidaires est en effet une autre organisation qui nous semble être un interlocuteur important, les débats en son sein restent ouverts et ne permettant pas, dans un premier temps, un travail pragmatique et efficace.
Comment réfléchissez-vous aux réponses que doit apporter le syndicalisme face aux mutations du salariat (ubérisation, précaires, intérimaires, syndicalisme de boîte ou de branche...) ?
C’est un travail en profondeur et dans la durée, c’est l’un des grands chantiers de la CGT. Nous considérons que, pour répondre à ces enjeux, le chantier relatif à l’organisation du syndicalisme est prioritaire. C’est quelque chose qui d’ailleurs se discute via le groupe de travail entre la CGT et la FSU. Nous considérons qu’il nous faut d’abord renforcer le lien avec nos syndicats. C’est pour cela que, l’an dernier, nous avons lancé un plan pour faire en sorte que chaque syndicat tienne son congrès : c’est un principe démocratique et c’est un principe d’efficacité. Le but est d’impliquer les nouveaux syndiqués, de renforcer le lien avec les fédérations, les unions départementales. Il faut aussi que la confédération, les UD, les fédérations entendent les besoins très concrets des syndicats qui sont dans des situations de plus en plus compliquées face aux employeurs, avec une pression très forte. C’est l’enjeu aussi de garder nos nouveaux syndiqués et en gagner d’autres (on a eu, après la réforme des retraites, au moins 70 000 adhésions et, dans la dynamique d’entre-deux-tours des législatives, 3 000 à 4 000 de plus).
Ces questions étant posées, cela permettra de mieux travailler par exemple sur la question des isolés, ceux qui n’ont pas de syndicat dans leur entreprise. Cela nous permettra aussi de répondre aux transformations du salariat, à sa précarisation, et permettre aussi aux cadres et professions intermédiaires de porter leurs revendications spécifiques.
Enfin, comment envisagez-vous le syndicalisme alors que la planète brûle ?
Nous considérons que la question environnementale est l’un des facteurs contribuant à la montée de l’extrême droite et c’est aujourd’hui, pour nous, l’un des axes prioritaires de travail. En effet, de plus en plus de régions vont devenir inhabitables ou n’auront plus les ressources agricoles suffisantes pour nourrir leur population, ce qui va engendrer des migrations. L’extrême droite alimente ainsi le mythe d’une submersion migratoire des pays développés. Et comme le capital refuse de remettre en cause le logiciel néolibéral, il y a des mises en opposition entre le social et l’environnemental qui fait prospérer l’extrême droite.
De plus, la réflexion sur le partage des richesses étant masquée, les propositions en termes de transformation des mobilités reposent toujours sur les plus modestes. Ainsi, le véhicule électrique est imposé sur une courte échéance, ce qui sert de prétexte aux constructeurs automobiles pour licencier les ouvriers par milliers et fermer des dizaines de sites dans la métallurgie. Les ZFE sont imposées, sans tenir compte des déplacements quotidiens pour le travail qui sont parfois nécessairement avec des véhicules polluants, les seuls que les travailleuses et les travailleurs peuvent se payer. Le capital n’est pas mis à contribution, la transition environnementale est ainsi payée par les travailleuses et les travailleurs.
Il faut donc relocaliser l’industrie, en transformant l’outil productif et développer les circuits courts. Il faut cesser la production low cost et changer les modes de consommation et de production. Nous proposons pour ce faire d’instaurer des barrières douanières avec des normes environnementales et sociales. Tout en restant attentif à la situation des pays émergents, qui n’ont aucune responsabilité dans la crise environnementale causée par le capitalisme né dans les pays développés, et imposée de façon coloniale au reste du monde.
Poser des barrières douanières de façon violente peut être néanmoins préjudiciable. Elles doivent être accompagnées d’un renforcement de l’aide au développement pour que ces pays élèvent leurs normes sociales et environnementales.
Il faut bien entendu sécuriser l’emploi et les garanties collectives des salariés qui seront remis en cause dans ces évolutions. C’est que nous appelons à la CGT la Sécurité sociale professionnelle. Concrètement, les entreprises de plus de 250 salariés devraient faire en sorte que 1,5 % de leur masse salariale soit mutualisée au niveau de la branche. Ainsi, quand une entreprise devra être transformée, le contrat de travail, le salaire et les droits des salariés seront maintenus, et ils seront formés pendant que le site est transformé. Ils retrouveront ensuite leur emploi.
Enfin, pour organiser la transition environnementale, il est nécessaire de modifier le partage des richesses entre le capital et le travail. D’abord, parce que les plus riches polluent le plus. Donc diminuer le nombre des plus riches et leurs richesses revient à diminuer la pollution. Ensuite, parce que la transformation environnementale exige des investissements massifs. Si c’est nous qui payons, nous les travailleuses et les travailleurs, alors que nous sommes déjà les premières victimes du changement climatique, cela alimentera le terreau de progression de l’extrême droite. o
Matthieu Brabant a été mandaté pour représenter le Bureau confédéral de la CGT lors de l’université d’été 2024 du NPA.