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Ne laissons pas l'extrême droite renverser la réalité, par Olivier Besancenot...

Le racisme résulterait des immigrés ? Le chômage serait le fait des chômeurs ? Et le RN reçoit le brevet de l'antiracisme sincère ? Autant d'inversions des valeurs, des causes et conséquences auxquelles nous devons faire face, selon le membre du Nouveau Parti anticapitaliste.

«No pasarán !» «Ils ne passeront pas !» : un slogan clamé en Espagne entre 1936 et 1939 contre le franquisme, dans l'espoir de stopper aussi l'ascension fasciste en Europe. Pour certains, il est désuet ; pour moi, il résonne avec force. Bien sûr, la période n'est pas la même, et si les tenants du néofascisme aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier, ils en sont néanmoins les héritiers directs. Au cours des années passées, nous avons souvent dit que la lutte contre l'extrême droite ne pouvait pas seulement s'effectuer au nom de la morale et de l'histoire. Soit. Mais nous avons fini par nous montrer taiseux sur le sujet. Et de ce fait, nous avons contribué à l'oubli.

Nous avons oublié l'existence d'un fascisme français, sans double nationalité. Le récit communément admis présente l'extrême droite au pouvoir en France comme la conséquence de l'invasion allemande et de la collaboration du régime de Vichy. Comme si le fascisme hexagonal avait été un corps étranger inoculé par l'occupant. Les racines du fascisme tricolore sont pourtant profondes, et remontent à loin. Aussi loin que la révolution de 1789 et les positions contre-révolutionnaires qu'elle a provoquées dans le camp politique adverse, structurant durablement une partie de la droite sur des bases «vendéennes».

Sous l'ère du RN, casquettes et brassards nazis resurgissent

Autre réalité française : l'antisémitisme dans la vie politique et intellectuelle durant l'affaire Dreyfus. Ce conflit est même un acte fondateur dans les rangs d'une droite traditionaliste, monarchiste et catholique. La théorie des races, elle aussi, est made in France, élaborée au XIXe siècle par Gobineau dans le cadre de la justification prétendument scientifique du colonialisme français. Tout ceci constituera le ferment théorique du régime du IIIe Reich au siècle suivant. Le fascisme français s'installera au pouvoir avec Pétain, devançant souvent les exigences nazies.

A la Libération, il ne disparaîtra pas complètement et anciens collaborateurs, Waffen SS et autres nostalgiques de l'Algérie française lui redonneront un nouvel élan au début des années 70 en déposant les statuts du Front national. Des décennies plus tard, sous l'ère du RN, slogans, casquettes et brassards nazis seront censés restés coffrés dans les placards. Pourtant, on voit bien qu'ils resurgissent ici et là.

Le succès du RN épouse bien le courant autoritaire du libéralisme tel qu'il se déploie en maints endroits du monde, au-delà des spécificités nationales. Pour un secteur du capital, il n'est plus tant question de chasser un péril révolutionnaire comme ce fut le cas dans les années 20, que de rétablir l'ordre. Le rétablir face au désordre déchaîné par le système capitaliste lui-même, en proie à une crise économique systémique.

Il y a peu, la phase de mondialisation libérale lui offrait encore quelques perspectives de renouvellement de plus-value. Mais à présent, la parenthèse se referme et les crises rejaillissent plus violemment, sonnant le retour des protectionnismes, des concurrences inter-impérialistes, des nationalismes et des guerres qui vont avec. Dès lors, le néofascisme devient une option sérieusement envisageable pour une part croissante des classes dominantes.

Leur offensive idéologique rappelle certains aspects de l'univers de 1984. Dans son roman, George Orwell montre de quelle façon le ministère de la Vérité mélange sciemment les opposés pour dévitaliser le sens des mots : «La guerre, c'est la paix ! L'esclavage, c'est la liberté ; l'ignorance c'est la force.» Morale de son œuvre majeure : si le régime dominant affirme que 2 et 2 font 5, alors deux et deux font cinq !

Comment ne pas reconnaître ici une part du fourvoiement volontaire qui fausse le débat public français ? Les éléments de langage saturent les chaînes d'information, transforment la réalité en inversant à dessein les valeurs, les causes, les conséquences. Le racisme résulterait de l'immigration, donc des immigrés ; le chômage serait le fait des chômeurs ; le sexisme serait le revers de la médaille féministe... Et, en guise d'apothéose, l'extrême droite reçoit désormais le brevet de l'antiracisme sincère, et la gauche est condamnée à porter le sceau de l'antisémitisme. Deux et deux font cinq.

Alors, le Nouveau Front populaire dans tout cela ? Un objet politique hybride, non identifié. Ni le Front populaire de 1936, ni l'Union de la gauche des années 80, ni le «Front unique ouvrier» envisagé par les courants révolutionnaires. Ce nouveau front ne se résume pas à un cartel de partis de gauche, il dépend des mouvements sociaux, des courants syndicaux, féministes, écologistes, des collectifs de quartiers qui le développent et le font vivre depuis plusieurs jours, sur le terrain.

Nous en sommes. Sans donner un chèque en blanc à qui que ce soit. Mais à situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Parce que l'aspiration à une politique nettement plus favorable à des millions de personnes est réelle, il faut faire front. Parce que le danger du RN est réel, il faut faire front. L'extrême droite au pouvoir, on sait quand cela commence, mais on ne sait jamais dans quel degré de barbarie ça finit. A nous de jouer. Il ne reste plus que quelques heures pour que 2 et 2 fassent toujours 4.

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