Le 8 mai, chaque année ou presque, est l’occasion pour les commentateurs de parler des décennies de paix qui ont suivi la capitulation et la fin des hostilités en Europe en 1945.
Il serait surprenant que cette année encore il soit question de 80 ans de paix en Europe. Depuis l’invasion à large échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, le récit d’une paix durable sur notre sol semble moins souvent servir.
80 ans de paix, vraiment ?
Un récit qui omet régulièrement de parler des guerres ailleurs qu’en Europe mais dans lesquelles l’État français a un rôle : Algérie (voir page 8), Vietnam, Kanaky dans les années 1980 et en 2024, au Rwanda en 1994… Un récit qui omet les conflits en Bosnie, Croatie et Serbie dans les années 1990.
La paix, c’est certes bon pour les affaires, et sans doute qu’après l’immense catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, les bourgeoisies européennes ont trouvé plus sage de s’entendre et de faire des affaires avec les États-Unis.
Pourtant, la paix n’est pas une option quand la limite aux profits n’existe plus, quand la limite à la course aux débouchés pour ses marchés nationaux n’existe plus, quand la limite à l’accaparement des ressources n’existe plus. Donald Trump incarne cet appétit sans limite pour le gain, le marché et les ressources, dans toutes ses prises de position : sur le Groenland (voir page 4, l’article en ligne) ; vis-à-vis de la Chine à propos des taxes douanières ; et dans ses pourparlers avec Zelensky et Poutine.
Cette escalade infernale du système capitaliste, qui conduit à l’intérieur de chaque pays les pauvres à devenir plus pauvres, et les riches toujours plus riches — au point que le Monde lui-même est obligé de titrer un papier du 6 mai « Inégalités : comment la France est redevenue une société d’héritiers ». Elle conduit aussi à l’échelle du monde le Nord global à exploiter le Sud global et sème les graines des conflits armés.
Un réarmement en marche
« Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage », disait Jean Jaurès. Alors, quoi de plus naturel pour les anticapitalistes de faire la guerre à la guerre ! D’autant que les budgets militaires augmentent, en particulier en France. De 2017 à 2024, la part consacrée aux dépenses de la défense française est passée de 32,3 milliards d’euros à environ 47 milliards d’euros. L’augmentation est de seulement 6,1 % entre 2023 et 2024. En France, la part des dépenses militaires dans le PIB n’avait fait que décroître depuis 1956 (plus de 6 % du PIB). Sur un palier depuis 25 ans, les dépenses n’excédaient pas les 2 %1. Elles opèrent une remontée. De quoi laisser entendre que le réarmement est en marche.
Pas un sou pour la guerre
« Pas un sou pour la guerre », tel est le slogan qu’on a entendu le 1er Mai dans certains cortèges. À l’évidence, personne dans le mouvement ouvrier ne se réjouit de l’essor des dépenses militaires. Nous dénonçons la menace que représente les armes nucléaires.
Mais de quelle guerre parle-t-on ? Des guerres entre puissances impérialistes aux conséquences en cascade en raison des alliances et des alignements ? Des guerres régionales pour des ressources comme autour du Congo, du Rwanda, ou entre le Mozambique et le Zimbabwe ? Ou encore des guerres coloniales comme en Palestine ou en Ukraine ?
Comment les anticapitalistes peuvent-ils lutter contre la guerre sans sombrer dans un pacifisme que la lutte des classes et la nécessaire solidarité internationale nous interdit ?
Oui à la résistance armée
Nous luttons aux côtés des peuples de Kanaky, de Mayotte et de Guadeloupe contre notre propre impérialisme et tous les impérialismes. Nous défendons le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à résister, avec ou sans armes. Nous défendons les peuples opprimés qui luttent pour leurs droits sans renoncer à la lutte internationale des travailleurs contre les profits. Cela veut dire la nécessaire solidarité financière avec celles et ceux qui combattent pour leurs droits, organisée par le mouvement ouvrier, sans passer par les États.
Pour toutes ces raisons, nous appelons à se mobiliser contre l’impérialisme et les guerres qu’il engendre, et pour les droits des peuples oppriméEs, pour leur droit à vivre sur leurs terres.
La mobilisation contre le salon du Bourget du 16 au 22 juin sera l’occasion de rassembler toutes celles et ceux qui veulent dire Non à la guerre, mais aussi non au colonialisme. Pour notre part, nous le dirons avec force tout en reconnaissant aux peuples opprimés le droit à la résistance armée.
Il n’est pas question de se ranger derrière un impérialisme, ni d’union sacrée, pas plus qu’il n’est question de pacifisme abstrait. Il faut nous positionner clairement dans la guerre de classe internationale.
Fabienne Dolet et Manon Boltansky
- 1. Tous les chiffres sont sur Statista.