En France on estime à 210 000 le nombre de viols ou tentatives de viol qui ont lieu chaque année. Si, depuis 2017 et le mouvement #MeToo, de plus en plus de victimes portent plainte, cette prise de parole n’est pas suivie d’effets : le plus souvent les plaintes sont classées et les auteurs relaxés.
Édouard Durand, juge pour enfants et ancien membre de la CIVIISE, parle d’un « message paradoxal » : on pousse les victimes à dénoncer ce qu’elles ont subi, mais rien ne se passe après que la prise de parole a eu lieu. Pour les victimes, le fait de ne pas être reconnues en tant que telles est une nouvelle violence qui s’ajoute à celle de l’agression. Il est logique que ce soit dans cette période que se pose la question de modifier le cadre juridique définissant le viol.
Dans un contexte où le nombre de condamnations pour viol en France diminue depuis 2007 et a même atteint son nombre le plus bas en 2020, plusieurs voix s’élèvent pour intégrer la notion juridique de consentement dans la loi française, dans l’objectif d’augmenter le nombre de condamnations. Tout le monde ne s’accorde pas pour autant sur cette question.
En France, la présomption de consentement
Actuellement le viol est défini ainsi : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Pour certaines, cette définition serait insuffisante et ne permettrait pas de rendre compte de toutes les situations de non-consentement, comme lorsque la victime est dans un état de sidération et ne peut pas réagir. Inversement, cette définition impliquerait que dans toutes les autres situations le rapport serait consenti, il y aurait alors une « présomption de consentement » qui s’appliquerait d’emblée pour les femmes.
Suède, Espagne, Belgique, le consentement est inscrit dans la loi
À l’inverse, en Suède, la loi considère que tout rapport sexuel sans consentement est un viol : « Le consentement doit être exprimé par les mots, les gestes ou d’une autre manière ». Ainsi, même en l’absence de violence ou de menace, si le consentement n’est pas clairement exprimé, il y a viol. C’est aussi le sens de la loi surnommée « Sólo sí es sí » (Seul un oui est un oui) que l’État espagnol a adopté en 2022. En Suède, cette loi aurait permis de faire augmenter de 75 % les condamnations pour viol entre 2017 et 2019.
En réalité, difficile d’évaluer vraiment les effets des lois ayant intégré la question du consentement. Car, de manière générale, le viol reste un crime sous-évalué, et les auteurs sont rarement condamnés. En Belgique, par exemple, où le viol est défini comme « tout acte de pénétration quel qu’il soit et par quelque moyen que ce soit commis sur une personne qui n’y consent pas », on estime que sur les 3 400 plaintes pour viol déposées chaque année, 4 % seulement aboutiront à une condamnation.
Le fait est qu’aucune réponse ne vous vient spontanément à l’esprit si on vous demande dans quel pays le viol est le plus reconnu et condamné.
Une inversion de la charge de la preuve ?
Plusieurs associations féministes estiment que l’introduction du consentement dans la loi inverserait la charge sur la victime. En centrant la définition du viol sur la question du consentement ou non de la victime, c’est l’attitude de la victime qui serait alors scrutée et ce serait à elle de démontrer qu’elle n’était pas consentante. L’avantage de la loi française actuelle résiderait dans le fait de se focaliser sur les comportements de l’agresseur : menace, contrainte, surprise ou violence. Une option pourrait être de demander à l’agresseur de prouver qu’il a bien cherché et reçu le consentement de la victime, mais même dans ce cas-là, c’est toujours le comportement de la victime qui sera étudié.
S’il y a bien une chose que toutes les victimes de viol qui ont porté plainte ont en commun, c’est la question qui leur a été posée : celle du consentement, qu’il soit inclus dans la loi ou non.
C’est toujours le comportement de la victime qui est décortiqué. Au lieu de demander à l’agresseur : « Pourquoi avez-vous demandé une fois de plus à entrer dans son appartement ? » et d’analyser cela comme l’exercice d’une contrainte morale, on demande à la victime : « Pourquoi avez-vous accepté au bout de la troisième fois ? ». Au lieu de demander « Pourquoi êtes-vous entré dans sa chambre alors qu’elle dormait », on demande à la victime : « Pourquoi n’avez-vous rien dit si vous n’étiez pas d’accord » ?
Le problème ce n’est donc pas que les juges ne prennent pas en compte la question du consentement. Le problème ne serait pas qu’ils la prennent en compte plus tard. Le problème, c’est ce qu’ils en font.
Aurélie-Anne Thos