« Qui sont les Palestiniens ? Je ne connais personne de ce nom. Ils n’existent pas ». Dans cette déclaration de Golda Meïr en 1969 se trouve l’essence de ce qui permettra, cinquante ans plus tard, le génocide des Palestinien·nes de Gaza. Malgré sa médiatisation en direct par ses victimes et un mouvement de solidarité organisé dans de nombreux pays, il se poursuit irrémédiablement depuis un an.
Le racisme anti-arabes et l’islamophobie prégnants dans le Nord impérialiste allié d’Israël explique non seulement comment le consentement au génocide s’est fabriqué1 mais également pourquoi le mouvement de solidarité ne s’est pas massifié.
Le racisme anti-arabe et l’islamophobie structurent le consentement au génocide
Un génocide nécessite la déshumanisation de ses victimes. La société israélienne est profondément raciste envers les Palestinien·nes. L’adhésion au projet sioniste de la colonisation nécessite cette déshumanisation qui aujourd’hui évolue vers un sentiment génocidaire partagé largement et dont les signaux étaient visibles avant octobre 2023. D’ailleurs depuis le 7 octobre, l’expression de soutien aux Palestinien·nes n’a été que très marginale dans les manifestations qui avaient débutée contre Netanyahou et une réforme de la Cour suprême et se sont poursuivies pour la libération des otages.
C’est sur cette dimension raciste et suprémaciste du sionisme que s’est fabriqué le consentement au génocide à l’étranger. Dans le discours des classes dominantes, la lutte des Palestinien·nes est décrite comme l’expression d’un fanatisme religieux et associée au terrorisme islamiste international2. L’intériorisation d’une hiérarchie raciale permet aux pays occidentaux de s’identifier aux victimes israéliennes et d’un même geste, d’invisibiliser le meurtre des Palestinien·nes. À ce titre, les bi-nationaux israéliens ont bénéficié de rapatriements, voire même d’hommages pour celles et ceux décédé·es le 7 octobre, alors que les bi-nationaux palestiniens ont eu les plus grandes difficultés pour échapper aux massacres et rapatrier leurs proches. Ainsi, Israël et surtout Netanyahou sont non seulement soutenus par les régimes et les partis d’extrême droite mais également par tous les gouvernements qui se reconnaissant dans cette grille de lecture culturaliste de la « guerre des civilisations » qui se transpose dans l’hostilité envers les Arabes, les musulman·es et celles et ceux racialisé·es comme tel·les. Le racisme systémique et une montée en puissance de l’islamophobie commune au Nord impérialiste ont permis qu’un tel alignement du discours s’opère instantanément. Un telle perméabilité n’est possible qu’en raison de notre propre impensé colonial et de la construction de l’État sur l’homogénéisation ethnique de la nation et le suprémacisme.
Enfin, le tableau ne serait pas complet sans le dévoiement de la lutte contre l’antisémitisme par le gouvernement sioniste qui soutient que la résistance du peuple palestinien ne serait pas motivée par leur persécution en tant que peuple colonisé mais par l’antisémitisme. En servant de blanc-seing à d’autres régimes racistes, Israël exonère chacun de ses soutiens de tout antisémitisme et leur permet en retour, sous prétexte de lutte contre l’antisémitisme, de cibler les musulman·es. D’ailleurs, suivant la théorie du « nouvel antisémitisme », l’antisémitisme contemporain émanerait principalement des Arabes et donc serait « importé ».
Ce discours place d’emblée les soutiens du peuple palestinien dans le camp des ennemis d’État avec le sophisme suivant : soutenir le peuple palestinien serait soutenir le terrorisme envers les juif·ves.
L’effacement de la dimension coloniale au profit d’un discours civilisationnel est repris dans les médias dominants qui l’ont largement amplifié. Le traitement médiatique a déshumanisé les vies palestiniennes dont le nombre de morts a été relativisé et a euphémisé le brutalité de l’offensive israélienne. Des rédactions ont été interdites d’utiliser des termes qui visibilisent le contexte colonial dans lequel elle s’inscrit3. Le traitement médiatique a aussi grandement participé à la diabolisation du mouvement de solidarité. Il s’est accompagné d’une expression raciste et islamophobe décomplexée.
L’islamophobie, pierre angulaire de la répression du mouvement de solidarité en France
L’islamophobie d’État en France, qui s’inscrit dans sa propre histoire coloniale, se combine parfaitement avec la propagande israélienne. C’est précisément ce qui s’est déroulé lors de la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023 à laquelle a participé l’extrême droite française antisémite. Dans l’appel, le lien était fait entre « République et lutte contre l’antisémitisme » et « défense de la laïcité face à l’islamisme ». Très rapidement, les attaques du 7 octobre ont été comparées aux attentats du Bataclan et le vocabulaire raciste de la sauvagerie a été utilisé pour décrire la résistance palestinienne.
Alors que les classes populaires racisées se sont rapidement mobilisées, la répression étatique a pris un tournant contre toute forme d’expression de soutien. Des interdictions générales de manifester ont été motivées par le risque de propos antisémites dans les manifestations et d’expression de soutien au Hamas. C’est cette expression des musulman·es et des générations de racisé·es issues de l’immigration postcoloniale que la classe dominante a d’abord cherché à invisibiliser de l’espace public en la présentant comme une menace par essence à l’ordre public.
L’imposition du narratif israélien a impacté le mouvement de solidarité. Il s’est structuré en lien avec les luttes antiracistes et anti-impérialistes et l’émergence d’Urgence Palestine, constitué autour de Palestinien·es, a permis des revendications plus radicales ; en parallèle, le front d’organisations de soutien historique s’est fracturé sur la condamnation du Hamas. Ceci peut expliquer pourquoi le mouvement de solidarité s’est retrouvé plus facilement criminalisé, car plus isolé. Cette criminalisation a été particulièrement forte en France avec réponse pénale « ferme et rapide » demandée aux procureurs face à l’antisémitisme et à l’« apologie du terrorisme »4 dans une confusion totale entre la dénonciation des crimes de l’État israélien et le terrorisme. L’autonomisation de l’infraction d’apologie du terrorisme qui ne relève plus seulement de la loi sur la liberté de la presse a servi de fondement à des procédures de comparution immédiate. On dénombrait déjà plus de 600 poursuites pour apologie du terrorisme en avril, avec une peine encourue de sept ans de prison fermes.
Une répression d’ampleur a visé les mosquées : plusieurs imams et responsables de lieux de culte ont fait l’objet de procédures de retrait de titre de séjour et d’expulsion en raison de propos tenus en soutien au peuple palestinien. Le cas le plus médiatisé a été celui d’Abdourahman Ridouane, président de la mosquée de Pessac qui va être expulsé après le rejet de son recours devant le Conseil d’État. Cette répression s’inscrit évidemment dans l’attaque plus généralisée de l’État sur les communautés culturelles musulmanes organisées (la mosquée de Pessac avait déjà fait l’objet de quatre tentatives de fermeture administrative). On peut également citer l’imam Ismaïl de la mosquée des Bleuets, qui a dû se mettre en retrait pour éviter sa fermeture. L’effet direct de cette offensive est la destruction de communautés et la démobilisation de personnes politisées via l’islam. Elle a été grandement facilitée par les nombreuses dissolutions de collectifs de luttes contre l’islamophobie ces dernières années.
Les voix palestiniennes et leurs allié·es ont été intimidées, notamment Mariam Abu Daqqa qui a été expulsée, Rima Hassan qui a fait l’objet d’un violent harcèlement mais aussi Elias d’Imzalène, figure de Perspectives musulmanes, qui va être jugé pour apologie du terrorisme après avoir repris le mot d’ordre d’Intifada.
Parce qu’elle dénonce le génocide et a refusé de condamner la résistance armée, La France insoumise a fait l’objet d’une attaque sans précédent, pour la discréditer. La campagne de diffamation associant accusations d’antisémitisme et clientélisme envers des électeurs pro-palestiniens était indéniablement raciste et islamophobe parce que reposant sur les logiques suivantes : seul ce clientélisme envers des électeurs racialisé·es comme Arabes et musulman·es pourrait expliquer le soutien de la FI au peuple palestinien (et donc seuls d’autres Arabes pourraient avoir de l’empathie envers les Palestinien·nes) ; et la critique d’Israël ne peut s’expliquer que par de l’antisémitisme et non par un soutien réel à la lutte anticoloniale des Palestinien·nes.
Enfin, c’est aussi le traitement médiatique par les médias français qui a été éminemment raciste et islamophobe. L’ARCOM a d’ailleurs été obligée d’intervenir sur un usage excessif de généralisations et stéréotypes dans le cadrage médiatique. Il a été dénoncé en tant que tel par l’association des journalistes antiracistes et racisé·es5.
L’islamophobie particulièrement structurante en France a favorisé l’acceptation de ce niveau de répression dans la société à l’encontre de soutiens pro-palestiniens avec des schémas de domination propres à l’oppression raciste.
À l’étranger, des mobilisations contraintes par le racisme
Ce constat d’une hausse du niveau de la répression à l’encontre du mouvement de solidarité pro-palestinien peut être étendu à la plupart des pays impérialistes alliés d’Israël : entrave au droit de manifester, harcèlement et diffamation des soutiens, contrôle de l’expression publique, annulation d’événements culturels, licenciements, criminalisation, stigmatisation des étrange·ères, etc6. Les palestinien·nes de la diaspora ont été particulièrement visé·es7. Il y a eu des dynamiques similaires : lien avec les luttes antiracistes et anticoloniales, notamment en raison d’une forte participation de personnes racisé·es, et un activisme pro-palestinien perçu comme menaçant et, par défaut, antisémite. Surtout, une forte augmentation des actes islamophobes a été constatée (discours de haine, stigmatisation, attaques de lieux de culte mais aussi violence physique et meurtres).
En Allemagne, la censure contre le mouvement de solidarité est très forte en raison du soutien à Israël qualifié de « raison d’État ». Un racisme d’État s’est déployé autour de la conviction que l’antisémitisme est importé par les étrangers de confession musulmane8.
L’Espagne et l’Angleterre font figure d’exceptions avec un important niveau de mobilisation qui s’explique par un soutien à la Palestine largement partagé dans l’opinion publique. Le soutien inconditionnel de la classe politique anglaise est compensé par le fort rôle mobilisateur des organisations communautaires de musulman·es et Palestinien·nes9.
Le mouvement d’occupation des universités débuté aux Etats-Unis avait le potentiel de faire changer le rapport de force. Là aussi, les étudiant·es mobilisé·es ont été intimidé·es et diffamé·es, accusé·es d’antisémitisme et de complaisance envers le Hamas.
Si ces mobilisations ont pu être par endroits conséquentes, elles n’ont pas été à même d’infléchir suffisamment le soutien des classes dirigeantes à Israël, même si le soutien « inconditionnel » est aujourd’hui plus timide. Ces dernières, en assumant l’importation de la rhétorique du conflit de civilisation où Israël serait une bastille occidentale face au péril islamiste, utilisent l’expression du soutien à la résistance palestinienne pour cibler les Arabes et musulman·es.
En un an, nous pouvons tirer les bilans d’une mobilisation internationale qui n’a pas su dépasser le plafond du racisme anti-arabe et un mépris profond pour les vies palestinien·nes. Cette représentation raciste de l’expérience palestinienne n’est pas nouvelle, de même que la criminalisation de leurs soutiens et de l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. En revanche, l’alignement inconditionnel avec la propagande israélienne a marqué une accélération de la fascisation générale, alimenté par une normalisation de la déshumanisation des Arabes et un approfondissement de l’autoritarisme. En cela, nous portons la responsabilité collective de regarder dans le miroir que nous tend Israël.
Louisa D.
- 1. D. Fassin Comment on fabrique le consentement au génocide à Gaza. Contretemps, septembre 2024.
- 2. H. Assal Il est temps de parler de racisme anti-palestinien en France. Contretemps, octobre 2024.
- 3. J. Scahill Leaked NYT Gaza Memo Tells Journalists to Avoid Words « Genocide, » « Ethnic Cleansing, » and « Occupied Territory ».The Intercept, avril 2024.
- 4. R. Chekkat France : dépolitiser et criminaliser la solidarité avec la Palestine. Middle East Eye, mars 2024.
- 5. Déclaration de l’AJAR, Israël/Palestine: l’AJAR condamne le racisme dans les rédactions.
- 6. Layla Kattermann et Diala Shamas, Répression de la solidarité avec la Palestine : des défis aux États-Unis et en Europe. Agence média Palestine, 17 décembre 2023.
- 7. H. Poltier Une répression anti palestinienne dans toute l’Europe. Mediapart.org, octobre 2023.
- 8. M. Sappir The spiraling absurdity of Germany’s pro-Israel fanaticism. +972Magazine, mars 2024.
- 9. H. Lackner La Palestine, un enjeu des élections britanniques. Orient XXI, juillet 2024.