Nous reproduisons ici l’intervention de notre camarade lors de la manif en soutien à la Palestine à Millau du 26 octobre.
Je voudrais commencer par une pensée pour Abdelaziz, né sous les bombes, mort de faim et de déshydratation à 5 mois. À 5 mois, il aurait dû avoir doublé son poids de naissance ; il pesait moins qu’à sa naissance. Une pensée pour Anwar, né sous les bombes, mort de faim et de déshydratation à 3 mois. Tous deux ont souffert de famine tout au long de leur courte vie, dès le jour de leur naissance1.
« Survivre est devenu une bataille quotidienne, et bouger sans cesse d’un endroit à un autre nous achève émotionnellement et physiquement. En deux jours, nous avons vécu plus de bombardements que pendant tout le mois de septembre. Nous sommes de plus en plus faibles. Innombrables sont les malades, nombreux les blessés, et beaucoup sont les deux. Ce que vous imaginez être l’enfer, nous y sommes. En pire » : les mots de Musabah Almadhoun, depuis le nord de Gaza2.
Dans le nord de Gaza, l’armée israélienne, assurée de son impunité, ne se livre pas à une énième orgie de massacres. Elle exécute un plan – le plan des généraux : il s’agit de vider le Nord de Gaza de toute vie. Elle somme les 200 000 personnes présentes à Jabaliya, Beit Lahia et Beit Hanoun d’évacuer, bombarde et cible au fusil de précision ceux qui tentent de partir, et désigne ceux qui restent – blesséEs, malades, sceptiques – comme des « cibles terroristes »3.
Fuir sous les bombes ou rester et mourir – sous les bombes ou de faim. Depuis trois semaines, le siège total infligé par l’armée génocidaire au Nord de Gaza bloque toute arrivée de nourriture et d’eau. Les hôpitaux sont privés de fournitures médicales et du fuel nécessaire aux générateurs. L’armée d’occupation mène l’assaut dans les hôpitaux, y sème la terreur, assassine et enlève des chirurgienNEs, détruit les réservoirs d’eau et les unités d’oxygène. Le Haut-Commissaire aux Droits de l’homme des Nations unies, Volker Türk, évoque des « atrocités criminelles » et « crimes contre l’humanité »4. Les patientEs en soins intensifs, dont les prématuréEs, meurent. Le Dr. Husam Abu Safiyeh, à Kamal Adwan, décrit son hôpital comme « un charnier ». Sa caméra se pose sur un bébé prématuré blessé à la tête, avec une infection secondaire, orphelin de père, de mère, de grand-mère. Le Dr. Amin Abu Amsheh : « C’est une extermination. Mais malgré le manque de nourriture, l’exténuation, le siège, les drones, nous, médecins palestiniens, nous resterons.5 »
La réalité est atroce, brutale, violente, et s’aggrave de jour en jour. Maintenant que les besoins sont les plus grands, il y a moins de ressources que jamais, ce qui accroît les morts et la souffrance. « Ils ont survécu à douze mois de guerre, aux déplacements répétés, aux bombardements, à la perte des proches, de leur maison, aux privations de nourriture, d’eau, de soins. Et depuis [trois] semaines, on est encore passé à une autre échelle en termes de bombardements [et de privations] », ainsi s’exprime Sam Rose, de l’UNRWA6.
Parole d’un infirmier à l’hôpital indonésien : « Nous sommes exténués. La réserve d’eau est vide. J’ai du mal à parler, je suis à bout de forces, j’ai la nausée, des vertiges. Tous ces gens comptent sur moi pour leur donner de la nourriture, de la sécurité, et les soins dont ils ont besoin. Nous ne pouvons pas. Mais nous faisons tout ce que nous pouvons et prions Dieu qu’il sauve notre peuple dans l’hôpital. »7
Dans le Nord de Gaza, il n’y a plus rien pour soigner les patients. Une seule mission sur cinquante-quatre a pu entrer à Gaza la première quinzaine d’octobre, et chaque mission entravée est une menace concrète pour la survie. Joyce Msuya, de l’OCHA (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs), rapporte que 85 % des mouvements coordonnés avec Israël ont été refusés, les autres entravés ou annulés en raison du danger8. Six camions par jour sont entrés à Gaza entre le 9 et le 16 octobre. Ça confine à l’absurde. Depuis un an, 250 000 camions ont été empêchés d’entrer à Gaza par l’occupant9. Des camions contenant à 100 % des biens de première nécessité essentiels à la survie. Philippe Lazzarini, de l’UNRWA, dénonce l’utilisation de l’aide humanitaire comme « arme de guerre ». « Les gens n’attendent plus que de mourir »10, dit-il. Pour Riyadh Mansour, ambassadeur de Palestine à l’ONU, « ce n’est pas une guerre, c’est un enchaînement sans fin de crimes, de violations du droit international. Les Palestiniens n’ont le choix qu’entre rester et mourir ou affronter la mort ailleurs. »11
Pas besoin d’être juriste pour se douter qu’empêcher l’accès aux biens de première nécessité est un crime. C’est une question de bon sens, et c’est condamné par le Statut de Rome de la CPI (1998). Il n’y a pas une règle qu’Israël n’ait violée. Nous assistons en live au génocide des PalestinienNEs ET à la guerre déclarée d’Israël contre le droit international et les institutions internationales. Israël bombarde les locaux de l’ONU à Gaza, confisque les locaux de l’ONU à Jérusalem-Est, désigne l’UNRWA comme organisation terroriste, décrète le secrétaire général des Nations unies non grata en Israël, tire sur les Casques bleus au Liban.
Comment Israël peut-il encore bénéficier de l’impunité, du soutien de ses alliés occidentaux ? Soutien à quoi ? Au massacre de masse des enfants ? À l’extermination d’un peuple ? Au nom de quelles valeurs ? L’apartheid, le mépris du droit et de la vie humaine ? De quoi s’agit-il au juste lorsque l’Occident met en avant le droit d’Israël à se défendre ? La défense de l’expansionnisme, du colonialisme, de l’assujettissement et de l’oppression d’un peuple ?12 Le droit de se défendre n’inclut jamais, quelles que soient les excuses qu’on trouve, les crimes que sont la décimation délibérée du système de soins, le ciblage des journalistes, le blocage systématique de l’aide humanitaire, la torture, le blocus.
Répétons en outre qu’en 2004, la CPI (Cour pénale internationale) a dénié à Israël, puissance occupante, le droit de se défendre vis-à-vis du peuple palestinien sous occupation. Israël n’a envers les PalestinienNEs que des devoirs : de santé, d’éducation, de protection. Le droit ne se négocie pas, il s’applique. Sanctions immédiates contre Israël, État génocidaire. Laisser faire, c’est être complice.
Je souhaiterais terminer par une pensée pour les quatorze jeunes enfants assassinés hier soir à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, par les bombes israéliennes. Une pensée pour Abdallah, 11 ans, assassiné par un tir de sniper mardi à Naplouse, alors qu’il lançait une pierre sur un véhicule blindé de l’armée d’occupation qui menait un assaut dans sa ville. Une pensée pour les quatre ingénieurs assassinés le 19 octobre à Khan Younès alors qu’ils réparaient l’installation d’eau.
Marie Schwab, Millau, 26 octobre 202
- 1. Voir Mark Scialla, Starving since the day he was born. How famine stalks Gaza’s children, Al Jazeera 20 octobre 2024 & Defense for Children International Palestine, “My son cried all night from hunger” : The Palestinian children starved to death by Israeli authorities, 24 juillet 2024.
- 2. Musabah Almadhoun, Northern Gaza is what you imagine hell to be, and probably worse, Al Jazeera 24 octobre 2024.
- 3. Mehdi Hasan, Meet the Architect Behind Israel’s Genocidal “General’s Plan”, Zeteo 24 octobre 2024.
- 4. Al Jazeera, 25 octobre 2024.
- 5. Qassam Muaddi, “This in an extermination” : Israel’s assaults on North Gaza’s last functionning hospital, Mondoweiss 23 octobre 2024.
- 6. Sam Rose, Al Jazeera 23 octobre 2024.
- 7. A staff nurse at the Indonesian Hospital in North Gaza, Instagram, 22 octobre 2024.
- 8. ONU info 16 octobre 2024.
- 9. Gaza Media Office in Al Jazeera 22 octobre 2024.
- 10. Al Jazeera 22 octobre 2024.
- 11. ONU info 16 octobre 2024.
- 12. Voir Palestine in the UK, Husam Zomlot, Palestinian ambassador addresses the prestigious Oxford Union on the current “annihilation” of Gaza, 11 octobre 2024.