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NPA l'Anticapitaliste 06 et 83 : le blog - Page 2

  • Suspension de la réforme des retraites : un tour de passe-passe qui ne doit pas démobiliser !

    Après le cirque politique de la semaine dernière et la nomination de ce gouvernement de macronistes pur sucre et de repris de justice, Sébastien Lecornu a donc prononcé sa déclaration de politique générale. 

    Cette déclaration de politique générale comporte une provocation : l’annonce d’inscrire l’accord de Bougival sur la Kanaky dans la Constitution avant la fin de l’année. Cet accord est un scandale imposé par l'État colonial contre le peuple Kanak, qui remet en cause le processus de décolonisation dans lequel la France s’est pourtant engagée en signant les accords de Nouméa et Matignon. En faisant ce choix, Lecornu soigne la droite et l’extrême droite, il flatte les courants réactionnaires attachés à la France coloniale et impérialiste, mal en point et chassée de ses zones d’influence et d’ingérence traditionnelles. Cette décision provoquera une colère légitime des Kanak, que le NPA-l’Anticapitaliste soutiendra.

    Mais le principal effet de manche de cette déclaration de politique générale est la proposition de suspendre la « réforme » des retraites. Cette suspension n’est ni un report ni une abrogation. Il n’y aura certes ni relèvement de l’âge jusqu’en janvier 2028, ni augmentation des trimestres – qui restent bloqués à 170, soit 42,5 annuités. Mais, dès janvier 2028, la mesure phare des 64 ans sera relancée et la réforme Touraine (43 annuités) se poursuivra. En 2023, les travailleurEs se sont très largement mobiliséEs  – par la grève et par leur présence par millions dans la rue – pour l’abrogation de cette réforme injuste, pas pour sa suspension. Lecornu s’est acheté du temps en faisant une concession au PS, qui ne votera pas la censure. En faisant ce choix, le PS laisse le gouvernement proposer un budget d’austérité qui va aggraver la régression sociale menée par Macron depuis 2017.

    Car ce que le gouvernement feint de lâcher sur la réforme des retraites, il le prend sur la sécurité sociale et sur le dos des travailleurEs. Les principales mesures antisociales du budget de Bayrou sont ici reprises : 

    année blanche pour les agentEs publics, pour les pensions et les prestations sociales ; 

    suppressions de postes dans les services publics ; 

    gel du barème de l’impôt qui va faire basculer 400 000 foyers fiscaux dans l’impôt ;

    doublement des franchises médicales… 

    7,1 milliards de coupes budgétaires sont prévues dans la santé, et le gouvernement entend poursuivre ses attaques contre le montant et la durée des indemnités journalières. Bref, poursuivre la feuille de route macroniste : faire payer les travailleurEs pour continuer de gaver le patronat et les milliardaires. 

    Ce qui l’a contraint à cette suspension, c’est la situation politique ouverte par les mobilisations depuis la rentrée. Les journées « Bloquons tout » du 10 septembre puis de grèves intersyndicales des 18 septembre et 2 octobre ont imprimé un climat social et un rapport de force qui ont fait chuter Bayrou et donc permis cette suspension. Mais il est urgent de reprendre le chemin des luttes, de la rue, de la grève pour gagner sur nos revendications, et en premier lieu l’abrogation totale de la réforme des retraites. 

    C’est dans cette perspective que le NPA-l’Anticapitaliste continuera d’interpeller publiquement les autres forces politiques de gauche en portant deux éléments essentiels : la nécessité de faire barrage à l'extrême droite et la construction d’un front social et politique portant un programme basé sur les revendications de notre classe, portées par l'intersyndicale et le programme du NFP de juin 2024. 

    Il y a urgence, et les forces de la gauche sociale et politique doivent se réunir rapidement pour construire la seule réponse que Macron pourra entendre : le rapport de force, classe contre classe.

  • Gaza : Quelle réalité derrière le cessez-le-feu ?

    Alors qu’un accord de cessez-le-feu vient d’être conclu, les bombardements continuent à Gaza comme au Liban et la colonisation se poursuit en Cisjordanie. Derrière l’accord présenté comme une « paix », Israël et les États-Unis cherchent à imposer une issue coloniale et à désarmer la résistance palestinienne.

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  • Palestine vivra, Palestine vaincra !

    Alors que Macron se décide enfin à reconnaitre l’État de Palestine, il ne dénonce ni le génocide en cours à Gaza, ni les massacres en Cisjordanie. Nous revendiquons un État unifié pour tous les palestiniens et le droit au retour des réfugié·es depuis 1948. Nous revendiquons la justice et l’autodétermination des peuples.

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  • Pour la Palestine comme pour la terre...

    Andreas Malm*, auteur de L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital (2017) ou de Comment saboter un pipeline (2020) a fait paraître en début d’année un petit ouvrage reprenant une conférence donnée à Beyrouth en avril 2024, qui met en évidence des moments d’articulation entre la destruction de la Palestine et la destruction de la Terre, c’est-à-dire des moments où l’un de ces processus influe sur l’autre, dans et par une causalité réciproque.

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  • Jeunesses et lutte de classe...

    Quelle est la place des jeunes dans les luttes de notre camp social ?  Est-ce que les jeunes doivent avoir recours à des formes d’organisation particulières pour conrétiser leurs luttes ? Voilà autant de questions auquelles Mandel a essayé de répondre à la lumière des mobilisations jeunes ouvertes par 1968. Cette analyse continue d’irriguer notre  courant politique.

    Un des apports de Mandel est l’analyse de la phase du capitalisme ouverte par la fin de la Deuxième Guerre mondiale, dont le nouvel axe est l’automatisation, l’électronique et l’énergie nucléaire. Pour réaliser ces changements dans la production, les pays développés doivent avoir une masse importante de force de travail qualifiée. Cela se traduit par une évolution en profondeur des classes sociales et des couches du prolétariat. Entre 1968 et 2011, en France, il y a une diminution drastique dans la population active de la part des agricultrices et agriculteurs (de 11 % à 1 %) et artisans (de 10 % à 8 %), une diminution relative de celle des ouvrières et ouvriers (de 37 % à 22 %) et dans le même temps, une augmentation des employé·es (de 20 % à 26 %), des professions intermédiaires (de 14 % à 26 %) et des cadres et professions supérieures (de 6 % à 16 %). Pour le dire (trop) schématiquement, les enfants d’agriculteurs deviennent des ouvriers ou des employés ; les enfants des ouvriers qualifiés et des employés deviennent des cadres intermédiaires et une partie des enfants d’ouvriers deviennent des ouvriers qualifiés ou des employés (par le biais de la mécanisation et de l’automatisation des postes). Le tout dans le cadre d’une augmentation massive de l’emploi public (hôpitaux, écoles, poste et télécommunication, énergie, transports…). C’est le fameux ascenseur social, qui est en réalité une translation des couches sociales pour s’adapter aux besoins du capitalisme.

    Le besoin de main d’œuvre qualifiée s’est traduit par une augmentation de la durée des études : si seulement 5,3 % d’une classe d’âge a le bac en 1951, ce taux double globalement tous les 10 ans, pour atteindre 61,7 % en 2000 et 87 % en 2020. Créant de ce fait un « entre deux », entre l’enfant et l’adulte, l’adolescence, ce que nous appelons « jeunesse » dans notre courant politique.

    Prolétarisation du travail intellectuel

    Mandel1 résume le nouveau fonctionnement du travail, induit par sa transformation : « connaître à fond un minuscule secteur d’une branche scientifique en n’ayant que de vagues données sur l’ensemble de cette branche et manquer de toute connaissance dans les autres domaines scientifiques, tel est le sort auquel est condamné le travailleur intellectuel. Un tel travail intellectuel, parcellarisé, fragmenté, ayant perdu toute vision d’ensemble des activités sociales où il est inséré, ne peut être qu’un travail aliéné. La prolétarisation du travail intellectuel dans les conditions du salariat conduit inévitablement à son aliénation. »

    Les postes d’encadrant·es (« les cadres ») et d’ingénieur·es sont devenus de plus en plus des postes d’employé·es aux tâches répétitives, diminuant leur valeur (en termes de salaires et de position sociale) et imposant aux jeunes l’obtention de diplômes supplémentaires (une surqualification) pour espérer un maintien social (relatif à l’élévation de leurs parents, qui ont bénéficié des Trente glorieuses).

    Macron représente un saut qualitatif dans les attaques contre les jeunesses menées depuis le début des années 2000. De son point de vue, la France n’est plus une puissance de premier rang, lié à une économie à bout de souffle, dont la place mondiale repose principalement sur les transports (à énergie fossiles), les exportations agricoles et la diplomatie.

    Les besoins sont d’une part des travailleuses et travailleurs très qualifié·es, pour réorienter radicalement la production de moyens de transport (avions, voitures) pour ne plus dépendre des énergies fossiles et espérer créer de nouveaux marchés dans des domaines de pointe (télécommunication et puces électroniques). D’autre part des employé·es précaires, essentiellement dans le domaine de la réalisation de la valeur – type Uber (d’où la nécessité des investissements sur les infrastructures des grands axes : A69, LGV…). Les exportations agricoles et agroalimentaires reposent essentiellement sur les grands propriétaires terriens, qu’il s’agit de satisfaire (ce qui explique les grands travaux, comme les bassines). La diplomatie est utile en temps de paix, mais pour Macron, cette période est finie. Il s’agit de réorienter la France dans une logique guerrière.

    Dans ce cadre, Macron assume pleinement que les études universitaires ne sont plus ouvertes à tous·tes, mettant en place le couperet de ParcourSup. C’est ce qui explique aussi la fermeture (relative) des études en sciences sociales : il ne pense pas que la France ait besoin d’un tel niveau d’analyse et de compréhension du monde, vu qu’il se cale sur les analyses étatsuniennes. En conséquence les études ne sont plus vues comme un moyen d’assurer massivement le développement d’une pensée autonome (ce dont le Capital français avait besoin dans les Trente glorieuses), mais une finalité (des études pour un emploi), dans un cadre hyperconcurrentiel (donc la moindre absence en cours est sanctionnée) et un marché du travail en berne. Dans ce cadre, l’échec scolaire est un moyen pour faire accepter le chômage de masse. 

    Place de l’école

    Le fonctionnement de l’école n’a pas été modifié en profondeur par l’afflux massif de jeunes des classes intermédiaires et populaires dans les études, ni pendant les Trente glorieuses, ni même après. Bien au contraire : elle a érigé les implicites des classes dirigeantes comme minimum indispensable à la réussite scolaire.  Les enfants des classes populaires ont été divisés entre exceptions consolantes2, qui trouvent un chemin dans le système, et une écrasante majorité d’échecs scolaires, renvoyés à leur classe d’origine. 

    La scolarisation massive de la jeunesse (la « démocratisation de l’école »), entraîne une explosion des lycées (début années 1960), puis des universités (fin années 1960), ce qui a créé des « transfuges de classe » (des jeunes qui se retrouvaient dans des positions sociales plus élevées que leurs familles) mais aussi des liens réels entre les jeunes et la classe ouvrière3. La combinaison de ces deux éléments, liés aux luttes de libération dans les colonies, a créé les conditions pour des mobilisations massives des jeunes, ainsi que des liens profonds entre les organisations de jeunesse et le mouvement ouvrier. Cela s’opère autour de la guerre d’Algérie où les vieilles organisations de jeunesse « apolitiques » se lient au mouvement ouvrier.

    Jeunesses et lutte des classes

    La guerre et l’anti-militarisme sont des questions importantes pour les jeunes, non seulement pour des questions idéologiques, mais également pratiques : c’est elleux qui vont au front. Les rythmes de mobilisation sont plus rapides pour la jeunesse, avec une vision plus horizontale d’un mouvement (décisions collectives en assemblées générales, par exemple), c’est-à-dire l’embryon de la société que nous voulons construire. Si la place de la jeunesse dans le système capitaliste n’est pas définie en tant que telle, elle est le moment où sa place dans le système peut évoluer par rapport à ses parents et où, en dernière instance, on (se) donne une place dans le système de production. 

    Ce moment de transition entraîne une vision du monde moins formatée par l’idéologie dominante avec moins de contraintes matérielles. Dans sa construction autonome du monde, elle a nécessairement une vision plus idéologique, plus simple des rapports de force (ne connaissant pas le poids des défaites passées, qu’elle n’a pas connues). C’est dans ce sens qu’elle est la plaque sensible de la révolution. Enfin, « l’absence » d’aliénation matérielle au système (emploi, salaire, crédit…) la rend plus disponible à lutte. Mandel précise4 : « la structure autoritaire de l’Université et le contenu inadéquat de l’enseignement reçu, du moins dans le domaine des sciences sociales, sont les causes du mécontentement bien plus que ne le sont les conditions matérielles. »

    Si la volonté générale du système est de vouloir une jeunesse autonome, il ne faudrait pas qu’elle le soit en totalité. Il s’agit que la jeunesse reproduise et se moule dans l’ordre hétéro- patriarcal. Pourtant (et à juste titre) la jeunesse va plus facilement (que le reste de la population) porter les questions de lutte contre l’islamophobie, contre le racisme, pour le féminisme, les LGBTI+, les questions écologiques, la place de la répression... Comme le note Ernesto ’Che’ Guevara5 : « Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire. » 

    Polarisation de la lutte des classes en France 

    La période récente en France est marquée par une accélération de la recomposition politique (réfractant la recomposition de la classe) en trois blocs. Un bloc d’extrême droite, raciste à visée fascisante, axée sur la grandeur passée de la France ; un bloc central qui tente de maintenir le système actuel (c’est-à-dire une redéfinition brutale de la composition de la classe, en accompagnant les évolutions sociétales actuelles) et un bloc de gauche, qui représente un compromis entre la petite bourgeoisie (déclassée) et la classe ouvrière.

    Là encore, les jeunes ont « un coup d’avance » : sur les mobilisations de solidarité (avec la Palestine par exemple), mais également dans les mobilisations sociales (après la dissolution de l’assemblée nationale le 9 juin 2024, les organisations de jeunesse appellent à une manifestation le 10 juin au soir). Cependant, les conditions matérielles (très grande difficulté à se réunir, interventions policières immédiates, sanctions scolaires, etc.) rendent d’autant plus difficile la création d’un mouvement massif de la jeunesse autonome. C’est pourtant un des enjeux de la période.

    Unité de la théorie et de la pratique

    Face à un monde en crises multiples, sans possibilité de repère, plusieurs réponses sont possibles : l’atonie, le repli sur soi, à espérer construire un espace exempt de la lutte des classes ou bien l’organisation collective, avec ses défauts et ses difficultés. Mandel étend à la jeunesse ce qu’écrit Lénine6 sur le parti révolutionnaire : « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons », Mandel montre que la jeunesse peut, dans une situation marquée par une faiblesse numérique du parti révolutionnaire et dans une certaine mesure, être cet élément extérieur à la sphère des rapports entre ouvriers et patrons, l'élément qui contribue de manière décisive à mettre la classe ouvrière en action. La nature même de la jeunesse est de se radicaliser autour des questions politiques (qui peuvent être différentes de celles du parti). Mandel insiste7 sur l’unité de la théorie et de la pratique : « sans une vision globale de la société capitaliste […] l’analyse concrète des forces sociales devenait erronée et conduisait […] à une orientation politique fausse. Par ailleurs, une théorie révolutionnaire sans pratique révolutionnaire est tout aussi condamnée à rester stérile. » Il ajoute « Pire encore, se retirer dans la tour d’ivoire de la ‘théorie pure’ signifie condamner cette théorie à être chaque fois moins révolutionnaire. » 

    Un groupement organisé des jeunes (secteur du parti ou bien organisation autonome8) est avant tout organisation d’actions militantes, où se mêle d’abord une pratique militante, consolidée par la théorie marxiste. Les expériences pratiques qui en découlent font évoluer la théorie. Dans ce cadre, il est central que les jeunes aient une autonomie organisationnelle par rapport au parti (non seulement financière, mais également éditoriale). La jeunesse doit avoir le droit (le devoir ?) de faire ses propres erreurs, parce que c’est en prenant des initiatives et en assumant ses responsabilités qu’on se forme.

    Pour le dire autrement, un but fondamental d’une organisation de jeunesse est de faire passer de nombreux jeunes de la révolte à la révolution. Cela ne peut se faire qu’en étant dans l’action. C’est précisément la différence fondamentale avec le parti : le type d’organisation que nous construisons. L’organisation de jeunesse est avant tout une organisation pour et par l’action. Le parti peut s’engluer dans des détours tactiques (coalition, parti large etc.), ou électoraux, la situation politique peut entraîner un repli du parti sur le travail de masse (syndicalisme, associatif, etc.) mais l’organisation de jeunesse doit toujours garder son drapeau déployé au cœur de l’action. Cela dit, dans la situation de crises que nous vivons, avec des accélérations soudaines de la lutte des classes, il nous faut des cadres de l’organisation politique qui ont une solide connaissance du passé et de la théorie marxiste pour s’orienter face aux vents et contrevents de l’actualité. Organiser des personnes jeunes permet de leur laisser le temps de se former, mêlant une pratique militante et un regard critique sur les apports théoriques du matérialisme dialectique. « Eh bien, en abordant de ce point de vue la question des tâches de la jeunesse, je dois dire que les tâches qui incombent à celle-ci en général, [...] peuvent se résumer d’un seul mot : apprendre. »9

    Ici, la solidarité politique de l’organisation adulte est centrale. L’expérience, les connaissances peuvent aider les jeunes à se donner des soutiens théoriques, pourvu que les jeunes gardent leur autonomie de pensée (et surtout d’action !), y compris en désaccord avec le parti. Bien entendu, le parti doit aider concrètement l’organisation de jeunesse, qui plus est dans une période où celle-ci se redéploye. Mais il ne le fera que sous la pression continue de la jeunesse de l’organisation.

    L’autonomie de pensée et d’action de l’organisation de jeunesse ne peut se faire que si les militant·es jeunes se pensent comme un groupe en tant que tel. Ses membres doivent avoir le sentiment d’une identité (d’une mêmeté) politique comme organisation nationale et en deuxième lieu l’organisation doit posséder et discuter un programme pour créer une homogénéité politique entre les jeunes issu·es de différentes mobilisations, de différentes jeunesses avec différentes aspirations. C’est également un moyen de lutter contre les réflexes patriarcaux, qui transpire malheureusement dans notre organisation. Au-delà du caractère national, nous avons la prétention de révolutionner le monde. L’organisation de jeunesse est aussi un moyen de mettre en place des rencontres internationales (les RIJ notamment), de se voir et échanger dans l’optique d’être encore plus fort et plus déterminés pour renverser ce système.

    Raphaël Greggan

    • 1. Ernest Mandel, Les étudiants, les intellectuels et la lutte des classes. Éd. La Brèche, 1979.
    • 2. Jean-Paul Delahaye, Exceptions consolantes, un grain de pauvre dans la machine. Éd. de la librairie du labyrinthe, 2021.
    • 3. Lire à ce sujet Ludivine Bantigny, 1968, De grands soirs en petits matins. Éd. Seuil, 2018.
    • 4. Ernest Mandel, op. cit.
    • 5. Ernesto ’Che’ Guevara, Lettre à mes enfants, 1966.
    • 6. Lénine, Que Faire ?, 1903.
    • 7. Ernest Mandel, op. cit.
    • 8. Notre courant politique international a essayé à peu près toutes les formes d’organisation pour la jeunesse (secteur jeune, organisation, réseaux plus ou moins informel, etc.), sans qu’aucune ne démontre une efficacité supérieure. Chacune a des avantages et des limites. J’essaie ici d’en dégager les axes fondamentaux, quelles que soient les modalités effectives.
    • 9. Lénine, Les tâches des unions de la jeunesse, 1920.
  • Mandel, théoricien intertextuel du fascisme...

    En revenant sur la stratégie argumentative qui préside à la présentation du fascisme par Mandel, cet article vise à mettre au jour les fortes singularités du marxisme d’Ernest Mandel : par ses intertextes, il s’agit de mettre en relief les thèses propres à Mandel, souvent implicites, et engager leur appréhension critique.

    Les textes que l’on peut lire de Mandel sur le fascisme sont composés de textes qui commentent les travaux de Trotsky, de ses contributions sur la Seconde Guerre mondiale et le génocide des juifs d’Europe et de quelques textes de circonstances qui éclairent des controverses intellectuelles de son temps, avec Hannah Arendt par exemple. La contribution principale de Mandel sur le fascisme se trouve dans la brève préface qu’il propose aux textes de Trotsky sur le fascisme.

    Mandel et le fascisme : passage obligé pour un trotskIste ?

    Relire Mandel, c’est relire un intellectuel marxiste qui a eu la spécificité de moins s’inscrire dans le champ académique que la plupart des auteurs marxistes de son temps. L’aura particulière dont il dispose encore dans notre organisation ne tient pas seulement à sa stature et à son rôle dans la 4e internationale, ni même à ses apports réels marginalement employés dans nos orientations, mais correspond plutôt au prestige consécutif à une trajectoire militante rare : c’est en prenant appui sur son activité militante qu’il a engagé une large intervention dans le champ intellectuel – il incarne ainsi un des derniers avatars de ce modèle d’intervention politique, à l’instar d’un Tony Cliff dont il a été un rival sur de nombreux enjeux et qui est aujourd’hui également une référence de notre organisation1.

    Le relire implique cependant également de faire droit à une spécificité du marxisme comme champ militant : tout en refusant de faire de quelques autorités des figures dogmatiques qu’il s’agirait de suivre en leur reconnaissant une autorité indiscutable voire intemporelle, la revendication d’une “orthodoxie” qui distingue et permet de s’inscrire dans un héritage victorieux fait office de légitimation des propositions originales des militant·es. En effet, si une analyse « actuelle » doit être produite à partir de l’analyse de coordonnées concrètes, factuelles, toute proposition peut également difficilement ne s’appuyer que sur l’autorité d’un génie individuel – d’autant plus que nous traquons, en trotskistes marqués de la critique anti-stalinienne, la « personnalisation ». Il faut dès lors balancer entre travail original et continuité d’un héritage qui ne « suffit jamais » à décider dans le fatras du monde concret actuel, ou, suivant la formule, « parmi les contradictions du capitalisme ». 

    Pour nous, lire attentivement les figures qui composent notre héritage militant requiert de se soucier de cette stratégie de réécriture et de réinterprétation constante pour pouvoir en prendre la mesure — l’idiosyncrasie que forme toute pétition de « fidélité » à la tradition devient ainsi la fondation de l’authenticité et la crédibilité de l’orientation nouvelle or les pétitions de retour à Trotsky sur le fascisme sont si nombreuses chez Mandel que l’innovation qui se trouve dans ses propositions en est d’autant plus palpable. 

    Si ses contemporains ne pouvaient s’y tromper, de même que nous ne pouvons que dresser l’oreille quand nous entendons une nouvelle référence à la cohérence entre une proposition nouvelle et « notre tradition », pour nous qui lisons parfois Mandel et Trotsky ensemble, il nous faut faire preuve d’une grande attention aux nuances qui les séparent. 

    « Thalheimer – Trotsky » : le procès de fascisation absenté ?

    Dans son ouvrage de synthèse sur Trotsky, Mandel met en lumière le génie exceptionnel de Trotsky sur le fascisme qu’il situe dans la filiation directe de Marx. La théorie majoritaire du mouvement communiste « orthodoxe » était celle du fascisme comme étape du développement du capitalisme. Puisqu’il n’y aurait pas de différence de nature entre le capitalisme et le fascisme, aucune forme d’unité antifasciste avec le camp social-démocrate ne serait légitime – autrement dit, pas de front unique. 

    « Aucun autre théoricien n’a compris aussi clairement la nature du fascisme, la menace qu’il représentait pour le mouvement ouvrier et pour la civilisation humaine. Lui seul a averti à temps la classe ouvrière de ce danger, insistant sur la nécessité de le vaincre et définissant le type de résistance nécessaire. Il n’est pas exagéré de dire qu’à l’exception de La lutte des classes en France de 1848 à 1850 et du Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, il n’existe aucune autre analyse marxiste des questions politiques et sociales contemporaines qui soit comparable en profondeur et en clarté aux écrits de Trotsky sur l’Allemagne de 1929 à 1933 […] La contribution marxiste la plus importante à la compréhension du fascisme, qui a conduit à des conclusions politico- tactiques similaires à celles de Trotsky, est la théorie d’August Thalheimer. Elle peut être résumée très brièvement comme suit : le fascisme est le stade final de la contre-révolution qui a commencé avec la défaite de la révolution allemande de 1918-19 et qui s’est caractérisée par une autonomie croissante de l’appareil d’État (le pouvoir exécutif). Il a défini cette autonomie comme du “bonapartisme”, en référence directe à l’analyse de Marx dans le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte. » 

    Premier point de vigilance : la continuité de Marx à Trotsky, quoique revendiquée par Mandel, est rapidement compliquée par la référence à August Thalheimer. L’apparente contradiction, d’une page à l’autre du même texte, doit nous rendre attentif à ce rapide résumé. Pour Thalheimer, le bonapartisme et le fascisme sont très proches, définis tous deux comme formes de « dictature ouverte du capital » mais la domination de classe varie : pour Thalheimer, le bonapartisme marque une domination « incomplète » de l’appareil d’État, issue de l’incohérence entre la politique de la bourgeoisie et la situation matérielle – tandis que le fascisme correspond à une restauration de la domination de la bourgeoisie en phase avec un développement impérialiste.

    La reconstruction de la théorie de Trotsky par Mandel, qui l’assimile à celle de Thalheimer et qu’on peut donc nommer « Thalheimer-Trotsky » s’inscrit dans une discussion critique. Pour Mandel, l’analyse théorique de Thalheimer aurait des défauts, qu’il relève, tandis qu’elle serait tactiquement comparable à celle de Trotsky. Pourtant, cette analyse binaire de la « non-contemporanéité » du bonapartisme qui serait résolue dans le fascisme ne se retrouve pas chez Trotsky, comme le souligne d’ailleurs Mandel lui-même. Le fascisme mobilise des éléments féodaux, et ne constitue dès lors pas une forme « purement » moderne – Mandel reconduit alors Trotsky à Tucholsky, mais aussi à Ernst Bloch, figures du marxisme dit « occidental » qu’il salue malgré de vives polémiques contre ces courants dans d’autres textes2. Il reste que l’emprunt à Thalheimer est donc lointain, puisque la logique globale de Trotsky (comme celle de Mandel) est contraire à celle de son prédécesseur. Pourtant, Mandel écrit que les propositions de Thalheimer « contiennent un germe de vérité » quoiqu’elles « manquent d’attention vis-à-vis des groupes fascistes et le cas échéant de l’appareil d’État fasciste [dont le but] est la destruction de toute forme d’organisation de la classe ouvrière ». 

    S’il rejoint effectivement les admonestations de Trotsky à la formation d’un front unique, Trotsky quant à lui affirme précisément que c’est bien la tactique qu’il faudrait revoir chez Thalheimer. Dans son texte de 1935, L’État ouvrier, Thermidor et le Bonapartisme, il critique précisément la manière dont la bureaucratie vise à saper les capacités d’organisation de la classe ouvrière – dans un État « bonapartiste ». En d’autres termes, contrairement à l’appréciation qu’en propose Mandel, Trotsky souligne que la spécificité du fascisme n’est pas la lutte contre l’auto-organisation de la classe ouvrière puisqu’un État bonapartiste se charge déjà de la lutte, y compris physique, contre l’auto-organisation de la classe ouvrière. 

    Pourquoi Mandel s’appuie-t-il alors sur la proposition de Thalheimer ? La distinction qu’apporte Mandel avec la proposition de Trotsky, à travers sa critique plus large de « Thalheimer-Trotsky », s’explique par le public de Mandel : il s’oppose, « dans les cercles de gauche » à la « théorie du fascisme rampant » qui empêcherait d’identifier la place d’un « État fort » tandis que les analyses de Trotsky insistent sur la transformation rapide d’un État bonapartiste en État fasciste. L’objectif de Mandel est dès lors de retrouver en Trotsky une autorité pour s’opposer à une interprétation « gauchiste » de sa situation politique – alors même que Trotsky, précisément, faisait de sa propre analyse une posture « gauchiste » face à l’analyse qu’il jugeait droitière de Thalheimer. Autrement dit, Mandel se situe en contradiction avec Trotsky puisqu’il soutient l’importance de l’« État fort » alors que Trotsky présente l’insistance sur la caractérisation d’un « État fort » comme une forme d’aveuglement. 

    L’impératif tactique qui était probablement celui de Mandel ne doit pas être l’objet d’un sursaut de fidélité : si la discussion ne peut que consonner avec nos propres interrogations sur la qualification de la période – que nous avons globalement effectivement tranchée en faveur de la mise en évidence de la « fascisation » si bien qu’il se pourrait que nous soyons nous-mêmes plus proches des groupes de gauche (et de Trotsky ?) que de la position de Mandel, nos coordonnées politiques ne sont pas les mêmes. 

    L’hypothèse « Mandel-Trotsky » : un cycle économique du fascisme 

    Lisons encore. Paradoxalement, l’introduction du recueil Comment vaincre le fascisme n’est rien moins qu’introductive car elle présente un cadre interprétatif propre aux analyses soutenues par Mandel. Elles sont l’occasion pour lui de mettre en évidence sa propre conception de la dialectique matérialiste, d’une part, et d’autre part de proposer une analyse économiciste du fascisme. 

    La présentation des textes de Trotsky est l’occasion de la reconstruction de son argumentation, qui correspond à un certain nombre de positionnements politiques, sous la forme d’un raisonnement qui met en relief l’enchaînement de six propositions. A travers cette mise en forme, il présente une « totalité close et dynamique » qui représente une application concrète, en situation, de la reconstruction de la dialectique du matérialisme historique par Mandel. Dans son Introduction au marxisme, ce dernier en effet propose une synthèse complexe et originale entre les vues d’Engels et de Lukács – malgré l’opposition de Lukács à Engels. 

    Si on ne peut ici s’attarder sur la singularité de la notion de « dialectique matérialiste » telle qu’elle est élaborée par Mandel, il faut néanmoins rappeler que cette analyse de la « totalité » est rien moins que dialectique elle-même, quoiqu’elle se dise « dynamique ». En effet, chez Mandel, « chaque élément est pourvu d’une certaine autonomie » tandis que chez Lukács, le caractère « dialectique » du matérialisme historique implique de penser non des variables indépendantes au mouvement propre ensuite organisé dans une totalité complexe qui les ramasserait, si bien que les parties seraient « autonomes ». C’est pourquoi il me semble plus pertinent de parler, en vue d’une clarification, de « cycle », chaque élément interdépendant permettant de « déduire » et de préciser un développement historique. 

    De fait, la spécificité de cette vision de la dialectique de Mandel est que les contradictions se situent de manière « interne » à chaque élément, qui reste autonome et qui dispose de son propre développement : le mouvement dialectique ne « forme » pas le tout, comme chez Lukács, il reste situé dans chacun des éléments si bien que certains facteurs peuvent être « indépendants » du reste du développement matériel, et même, peu déterminants. 

    Cette présentation de la « totalité » à laquelle correspond la théorie du fascisme de Trotsky pour Mandel met en évidence la primauté du fait économique – la crise du capitalisme d’âge mûr – et sa manière d’impacter la classe dominante, la bourgeoisie, puis, en raison de l’affaiblissement de la bourgeoisie, le recours à une classe « intermédiaire », la petite-bourgeoisie, dont il distingue la fraction active dans les ligues fascistes de l’ensemble de la classe, pour enfin l’opposer au prolétariat. Finalement, l’écrasement de la résistance du prolétariat permet la restauration de la domination de la grande bourgeoisie et le renouveau impérialiste, caractéristique du développement économique bourgeois. 

    Un antifascisme sans antiracisme ?  

    L’analyse de Mandel repose dès lors sur une vision économiciste du fascisme : en dernière instance, le fascisme est intégralement ramené à l’intérêt de la grande bourgeoisie. Cette présentation correspond en creux à la réponse que présente de manière plus explicite ailleurs Mandel sur la question de la responsabilité de la classe ouvrière : pour Mandel, la « participation » du prolétariat au projet fasciste est mineure et ne correspond pas à un élément pertinent d’intelligence de la situation politique : le « déclassement », idéologiquement formulé par le racisme, et même les acteurs des violences ne seraient qu’adventices face aux intérêts de la grande bourgeoisie

    Pour Mandel, il s’agirait de ne pas se tromper sur les responsabilités, et, en butte au développement de la Schuldfrage autour des Mitlaüfer du nazisme, il insiste fortement sur la place de la résistance, et en particulier de la résistance communiste au fascisme – à laquelle il a lui-même participé. Cette posture n’est pas seulement politique, elle est personnelle : à la fin de sa vie, Mandel témoigne avec une forme de candeur dans le documentaire de Chris van Hond, Mandel, Une vie pour la révolution, de sa naïveté face au danger fasciste quand il explique avoir alors vu comme des « opportunités militantes » ses déportations en Allemagne quoiqu’il était juif communiste.

    Si expliciter les spécificités de l’anti- racisme de Mandel justifierait une contribution plus longue, il importe de ne pas négliger le large constat de son insuffisance. Dès 1989, le colloque organisé par Gilbert Achcar pour rendre hommage à Mandel, Norman Geras, alors militant de la 4e Internationale et membre du conseil éditiorial de la New Left Review, s’inquiétait de la minimisation du génocide des Juifs d’Europe. Aujourd’hui, c’est certainement là la démarcation la plus importante qui nous éloigne de la posture de notre prédécesseur : la lutte antiraciste, qui doit permettre de préserver non tant le mouvement ouvrier que la vie des premiers concernés par la montée du fascisme, doit être le cœur de notre contribution au front unique. Face à un mouvement social divisé mais dont la conscience du danger est croissante, il nous importe de tourner l’ensemble des énergies vers l’unification dans la résistance la plus radicale aux compromissions racistes qui fondent le consentement, voire la participation, à la fascisation. 

    Hafiza b. Kreje

    • 1. En 2002 puis en 2004, les organisations françaises proches du SWP britannique avaient en effet rejoint la LCR, puis se sont engagées dans le NPA. Si les évolutions internes d’une partie de ces militants se sont faites en dehors du NPA et que cette continuité est aujourd’hui très informelle, cette sensibilité reste présente aujourd’hui dans l’organisation. Elle correspond notamment à 1/6e de son comité exécutif. 
    • 2. On pourra ici se référer à l’introduction du texte de Simon Saissac, qui reprend le diagnostic partagé avec Anderson sur ce thème – qui répondait notamment chez Mandel à l’objectif tactique d’opposition au structuralisme du PC.
  • Mandel, le parti et la classe...

    L’interaction entre la classe et le parti est un point essentiel de toute stratégie révolutionnaire, car la première est l’agent principal de la révolution mais n’est pas révolutionnaire en temps normal, tandis que le second tente d’incarner les intérêts et la stratégie de cette classe, sans être – en temps normal – reconnu par celle-ci.

    Mandel l’a abordé à plusieurs reprises, notamment dans différents textes regroupés en brochure puis, récemment aux éditions La Brèche, dans Lénine, la révolution et le parti. Le cœur du sujet est la capacité de la classe à acquérir une conscience révolutionnaire, et celle du  parti  d’être intimement lié à celle-ci. Mandel le synthétise par l’articulation entre intériorité et extériorité du parti vis-à-vis de la classe : le parti est relié à la classe, dont il tente d’être le représentant historique, mais il est aussi en dehors car résister aux pressions du système et aux fluctuations de la conscience nécessite de définir ses analyses et son programme de façon scientifique matérialiste, avec du recul. Tout en travaillant l’interaction entre théorie et pratique. Mandel pense en particulier l’articulation entre conscience, expérience et action.

    Tenter de définir les classes

    Ce travail nécessite de définir préalablement ce qu’on entend par prolétariat et son rôle dans le processus révolutionnaire. Daniel Bensaïd reprend la définition, qu’il estime « la moins mauvaise »1, de Lénine : « On appelle classe de vastes groupes d’hommes qui se distinguent par la place qu’ils occupent dans un système historiquement défini de production sociale, par leur rapport (la plupart du temps fixé par des lois) vis-à-vis des moyens de production, par leur rôle dans l’organisation sociale du travail, par les modes d’obtention et l’importance de la part des richesses sociales dont ils disposent »2. Il propose donc d’inclure dans le prolétariat les catégories des « ouvriers d’industrie, employés du commerce, des banques et assurances, du service public, et salariés agricoles » mais de ne pas y intégrer, en plus de la bourgeoisie et de la « petite bourgeoisie traditionnelle », la « nouvelle petite-bourgeoisie » (« les cadres supérieurs et moyens, les journalistes et les agents de publicité, les professions libérales devenues salariées, les enseignants du supérieur et du secondaire, les enseignants du primaire (ce qui est au demeurant fort discutable) »). Pour Mandel « La division sociale du travail se réfère à des fonctions sociales qualitativement différentes, qu’en dernière analyse on peut réduire aux fonctions de production et d’administration (d’accumulation) », « la division de la société entre ceux qui produisent et ceux qui gèrent »3, cette division établissant différentes classes, entre les producteurs qui ne possèdent que leur force de travail (les prolétaires), les producteurs qui possèdent leur moyen de production, les différentes couches de la bourgeoisie et toutes sortes de « médiateurs » entre le capital et le travail (dont les chefs, les cadres, les politiciens et les dirigeants syndicaux locaux ou nationaux…), entre science, technique et production, entre production et réalisation de la plus-value…4 

    Quelles actions pour la classe révolutionnaire ?

    Cette catégorisation est considérée comme  – les contours des classes ne sont pas nets et peuvent fluctuer5 – mais donne un support objectif, social aux dynamiques militantes et révolutionnaires : « La révolution prolétarienne ne tend pas à remplacer une forme d’exploitation par une autre. Elle tend à abolir toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme. […] Elle tend à l’orienter vers un but précis : la socialisation des moyens de production par la conquête du pouvoir politique par le prolétariat »6, tandis que « le radicalisme petit-bourgeois tend à obtenir le maximum d’avantages égaux pour les petits artisans et les entrepreneurs dans le cadre de la société bourgeoise »7.

    Il convient donc, dans la lutte, de renforcer ce qui contribue à la socialisation des moyens de production, ce qui s’oppose à l’État, ce qui renforce l’opposition à la classe dominante. Dans ses analyses, Trotsky insiste à plusieurs reprises sur le sens général dans lequel le prolétariat doit interagir avec les classes intermédiaires : « Le prolétariat en possession du pouvoir apparaîtra à la paysannerie comme une classe émancipatrice »8, « l’union du prolétariat avec les masses opprimées de la petite-bourgeoisie du village et de la ville est possible uniquement par le renversement politique des partis traditionnels de la petite-bourgeoisie »9.

    Ce que reprend Mandel : « La séparation nette entre le radicalisme petit-bourgeois et le mouvement politique de la classe ouvrière n’apparaît que par rapport aux buts historiques de ces deux forces sociales à la lumière de leur attitude envers les problèmes de la révolution. Seul le parti ouvrier peut inscrire sur son drapeau la révolution sociale la plus radicale de tous les temps, qui débute avec l’expropriation des propriétaires capitalistes et semi-féodaux des moyens de production, pour aboutir au dépérissement des classes, de l’État et de toute forme d’exploitation et de contrainte de l’homme par l’homme »10.

    En effet, notre projet de société n’est pas le « Grand soir » révolutionnaire,  mais la socialisation des moyens de production ou l’expropriation de la bourgeoisie, qui ne sont que des étapes dans le parcours révolutionnaire. Notre objectif est de transformer l’ensemble des rapports sociaux pour construire une société sans classe et sans État, une libre association des productrices et producteurs, selon l’adage « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». La révolution consiste en une immense force propulsive visant à ce que la dynamique transformatrice soit suffisamment forte pour ne pas se rétracter et éviter que « Quand une classe s’est emparée du pouvoir, une certaine partie de cette classe devient l’agent de ce pouvoir. C’est ainsi qu’apparaît la bureaucratie »11.

    L’auto-activité des masses est donc une question clé

    Elle doit être à combinée à une conscience élevée des objectifs de la révolution : « Vous ne pouvez pas avoir une révolution socialiste dirigée à partir du haut, par un certain chef ou un groupe omniscient de chefs. Vous avez besoin des deux ingrédients de la révolution socialiste : le niveau le plus élevé de conscience possible, et le niveau le plus élevé d’auto-organisation et d’auto-activité par les secteurs les plus larges de la population. Tous les problèmes des relations entre une organisation d’avant-garde et les masses proviennent de cette contradiction de base »12.

    Cette relation se noue essentiellement dans le cadre de l’auto-organisation. « L’ampleur de l’activité des masses, au moment de crises révolutionnaires, ne permet pas d’enfermer le processus historique dans le seul rapport réciproque “partis-masses inorganisées”. Toute crise révolutionnaire dans un pays même moyennement industrialisé a jusqu’ici presque toujours abouti à la création de formes d’auto-organisation des masses (soviets, conseils ouvriers), embryons du futur pouvoir prolétarien et instruments immédiats d’une dualité de pouvoir de fait »13. Cette préoccupation se prolonge dans les sociétés de transition : Mandel souligna que « seule l’activité et l’auto-organisation des travailleurs peuvent assurer le double dépérissement de l’État et du marché, précondition de tout avenir socialiste »14.

    Conscience et idéologie

    Cette conception est intimement liée aux dynamiques de la conscience de classe et de son évolution, à la contradiction entre les capacités révolutionnaires objectives (inscrites dans les rapports de production) de la classe ouvrière, à sa subordination quotidienne à l’idéologie bourgeoise et aux évolutions qui s’opèrent dans l’action.

    Ainsi, la recherche par l’être humain de l’unité de la conscience et de l’être15 s’oppose à l’aliénation16, à l’organisation capitaliste de la production et, dans l’action, s’oppose à la concurrence capitaliste (entre les marchandises, les entreprises mais surtout entre les êtres humains) pour produire une solidarité et une conscience de classe, c’est-à-dire une conscience des intérêts collectifs d’une classe, différents de ceux des autres classes sociales.

    De plus, loin de l’idée défaitiste selon laquelle la classe ouvrière aurait échoué dans son combat et sa mission historique, Mandel affirme que « l’histoire nous enseigne également que, périodiquement, les ouvriers se révoltent bel et bien contre la société bourgeoise, pas par cent, cinq cents, ou mille, mais par millions. […] Les ouvriers ne frappent pas chaque jour, ils ne peuvent pas le faire du fait de la place qu’ils occupent dans le fonctionnement de l’économie capitaliste. Le fait qu’ils ne peuvent survivre qu’en vendant leur force de travail rend cela impossible. Ils seraient vite affamés s’ils se révoltaient chaque jour. […] Il y a donc un développement cyclique de la combativité et de l’activité de classe qui est partiellement déterminée par une logique interne »17.

    En période de passivité, la conscience recule face à l’idéologie dominante. Pour Mandel, parfois domine « l’immaturité subjective immédiate du même prolétariat – en fonction du poids de la misère, de l’aliénation, de l’abrutissement et surtout de l’asservissement à l’idéologie de la classe dominante qui résultent de la même condition prolétarienne »18.

    Permanence de la conscience de classe

    Mandel insiste donc sur le fait que c’est dans l’action que la conscience progresse et sur la nécessité de développer ce qui permet de la maintenir au niveau le plus élevé possible : « même dans sa forme la plus élémentaire, la lutte de classe spontanée des salariés laisse une trace dans le mode de production capitaliste : la conscience se condense, se concrétise dans l’organisation continue ». Pour lui, « l’avant-garde se distingue des majorités en ceci qu’elle n’abandonne pas, même entre deux points culminants de la lutte active, le terrain de la lutte des classes et qu’elle continue en quelque sorte la “lutte avec d’autres moyens”. Elle essaie de consolider les caisses de résistance apparues pendant la lutte en fonds de grève durables, c’est-à-dire en syndicats. Elle s’efforce de cristalliser et de renforcer la conscience de classe élémentaire née dans le conflit en éditant un journal ouvrier et en organisant des cercles de formation ouvrière. Elle constitue de ce fait le moment de continuité face à l’action de masse nécessairement discontinue, le moment de la conscience face au mouvement de masse qui est en soi spontané. C’est bien moins la théorie, la science, la compréhension idéelle de la totalité de la société que l’expérience pratique qui presse les travailleurs avancés sur la voie de l’organisation continue et accroît la conscience de classe »19.

    Cette nécessité de combiner un lien très fort avec la classe, ses besoins à un instant donné, aussi ses préoccupations et objectifs de lutte, avec des objectifs propres, liées à la stratégie révolutionnaire, amène Mandel à formuler sa conception du parti : « Le bolchevisme, c’est donc à la fois l’affirmation de la stricte nécessité d’organiser les communistes en parti séparé, avec une discipline et une centralisation toute orientée vers le but révolutionnaire, et l’affirmation de la stricte nécessité de maintenir l’organisation de l’avant-garde intimement intégrée dans la classe, avec son mouvement et ses luttes propres et spontanées. Le bolchevisme, c’est à la fois la proclamation de la séparation de l’avant-garde d’avec la classe et de son intégration dans la classe. Comme tout ce qui existe, le bolchevisme est une unité des contraires. »20 Le parti doit se lier à la réalité, diverse et mouvante, de la classe ouvrière, sous peine de devenir une secte asphyxiée par la pratique de ses militant·es (souvent issu·es des couches supérieures de la classe, voire de la petite-bourgeoisie, les couches qui ont les moyens de militer) et de ses appareils (soumis à la pression des objectifs, dans le cadre du capitalisme, pour une organisation). Ainsi, selon Mandel, « les méfaits de l’organisation de petits cercles, reflétant “une étape très jeune et non mûre du mouvement ouvrier d’un pays”, ne peuvent être surmontés que par : “L’élargissement du parti vers des éléments prolétariens combiné au travail de masse ouvert” »21.Ainsi, le lien avec la classe passe en grande partie par l’insertion dans les organisations et les mouvements de masse de la classe.

    Mais en même temps, le parti doit se protéger de l’influence de l’idéologie dominante sur la classe, qui fait dire qu’il y aurait trop d’étrangers, qui a fait dire aux Gilets jaunes « la police avec nous » avant de tester pratiquement l’effet des flashballs sur leur vision, etc. Trotsky indique sans nuance que « Toute lutte de fraction sérieuse dans le parti est toujours, en dernière analyse, une réfraction de la lutte de classe »22. Par là, avec Marx et Mandel, il veut signifier que l’idéologie dominante et les disparité sociales et politiques influent sur l’ensemble de la société, et y compris des organisations révolutionnaires et que le parti se doit, par le travail théorique, scientifique, matérialiste, d’y faire face, de développer son programme, sa stratégie, son analyse des évènements et des orientations tactiques à y développer. 

    Antoine Larrache

    • 1. Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif. Éd. Fayard, 1995.
    • 2. Lénine, « La Grande initiative », Œuvres, t. XXIX. Éd. Moscou, p. 425.
    • 3. « Sur la stratégie révolutionnaire en Europe occidentale », Critique communiste n°8-9, septembre-octobre 1976.
    • 4. « Lénine et le problème de la conscience de classe prolétarienne « (1970). Édité par La Brèche dans le recueil Lénine, la Révolution, le Parti, 2024.
    • 5. « La division en classes est certes, en fin de compte, l’assise la plus profonde du groupement politique, mais c’est la lutte politique seule qui l’établit » (D. Bensaïd, « Lénine ou la politique du temps brisé », Critique communiste n°150, 1997).
    • 6. Ernest Mandel,  Sources théoriques et historiques du Parti bolchévik, Quatrième Internationale, 1953, réédité par La Brèche. 7) Idem.
    • 7. Idem
    • 8. 1905-1906, cité par lui-même dans « Trois conceptions de la révolution », 1939.
    • 9. « Bolchevisme ou stalinisme », 1937.
    • 10.  Ernest Mandel Sources théoriques et historiques du Parti bolchévik, op. cit.
    • 11. Idem.
    • 12. « Sur les partis d’avant-garde », retranscription d’une communication orale faite par Ernest Mandel à l’occasion d’un colloque sur le Centenaire de Marx organisé à l’Université de Manitoba, Winnipeg, au Canada, le 15 décembre 1983. In Lénine, la Révolution, le Parti, op. cit.
    • 13. « Actualité de la théorie d’organisation léniniste à la lumière de l’expérience historique », Praxis — revue philosophique, n°8, 1971. In Lénine, la Révolution, le Parti, op. cit.
    • 14. « Les conceptions d’Ernest Mandel sur la question de la transition au socialisme », Catherine Samary, dans Gilbert Achcar (dir.), Le marxisme d’Ernest Mandel, 1999.
    • 15. Franz Jakubowski, Les superstructures idéologiques dans la conception matérialiste de l’histoire, 1976.
    • 16. « L’aliénation de l’ouvrier dans son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et devient une puissance autonome vis-à-vis de lui, que la vie qu’il a prêtée à l’objet, s’oppose à lui, hostile et étrangère », Karl Marx, Manuscrits de 1844.
    • 17. Ernest Mandel, Actualité de la théorie d’organisation léniniste à la lumière de l’expérience historique, 1971.
    • 18. Idem
    • 19. Ernest Mandel, Lénine et le problème de la conscience de classe prolétarienne, 1970.
    • 20. Ernest Mandel, Sources théoriques et historiques du Parti bolchévik, op. cit..
    • 21. idem
    • 22. « L’opposition petite-bourgeoise dans le Socialist Workers Party », in Trotsky, En défense du marxisme, 1939.
  • Extrait de Sur le fascisme...

    Le bonapartisme, l’indépendance du pouvoir exécutif, est la forme « ultime » et en même temps la plus pourrie du pouvoir d’État bourgeois, à un stade où cette société bourgeoise est confrontée à la plus grande menace que représente l’assaut de la révolution prolétarienne, où la bourgeoisie a épuisé ses forces à repousser cet assaut, où toutes les classes sont affaiblies et prostrées, et où la bourgeoisie cherche à renforcer au maximum sa domination sociale. Ainsi, le bonapartisme est une forme de pouvoir d’État bourgeois dans une situation de défense, de fortification et de renforcement contre la révolution prolétarienne. C’est une forme de dictature ouverte du capital. L’autre forme, étroitement liée à celle-ci, est la forme étatique fasciste. 

    Le dénominateur commun est la dictature ouverte du capital. Leur forme d’apparence est l’indépendance du pouvoir exécutif, la destruction de la domination politique de la bourgeoisie et la subordination de toutes les autres classes sociales à l’exécutif. Mais leur contenu social et de classe est la domination complète de la bourgeoisie et des propriétaires privés sur la classe ouvrière et toutes les autres classes exploitées par le capitalisme. […] Napoléon III opérait encore à l’époque du capitalisme de libre concurrence et de la révolution bourgeoise inachevée en Italie et en Allemagne. [...] Les guerres dynastiques de conquête qu’il dut mener, poussé par la légende napoléonienne et les contradictions internes du système, étaient alors en décalage avec leur temps : trop tardives, alors qu’il n’était plus le champion d’aucun principe révolutionnaire, trop précoces, alors qu’il ne disposait pas encore de la base économique appropriée pour être le champion du principe impérialiste. 

    En revanche, la politique étrangère de Mussolini a dès le départ eu une base et une orientation impérialistes – au sens moderne du terme. Elle « correspond donc à son époque », même si elle revêt un masque antique, mais elle est ouvertement réactionnaire dès le départ. Elle doit se briser contre la contradiction entre, d’une part, les objectifs extravagants qu’elle se fixe et les moyens insuffisants pour les réaliser et, d’autre part, la contradiction entre la forme et la structure sociale d’une organisation militaire correspondant à la nécessité de soumettre toutes les classes de la société et de vivre à leurs dépens, et les exigences très différentes de la guerre impérialiste. Une autre différence, conditionnée par le développement général de la société bourgeoise et le niveau de la lutte de classe internationale, apparaît dans la base organisationnelle et les méthodes du pouvoir d’État fasciste. La « bande de décembre » de Louis Bonaparte était le pendant de la petite organisation révolutionnaire secrète de la classe ouvrière française de l’époque. Le parti fasciste est le pendant contre-révolutionnaire du Parti communiste de la Russie soviétique. Il s’agit donc dès le départ d’une vaste organisation de masse, contrairement à celle de Louis Bonaparte. Cela le rend plus fort à certains égards, mais accentue également ses contradictions internes, les contradictions entre les intérêts sociaux de ces masses et les intérêts des classes dirigeantes qu’il est censé servir. 

    August Thalheimer