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Actualités internationales... - Page 9

  • Quand des usines automobiles se reconvertissent pour l’armement...

    En Europe, le temps de l’augmentation incessante de la production de voitures est terminé. C’est notamment le cas en France où le nombre de voitures fabriquées était de 1,34 million en 2024, un total inférieur à celui de 1960, année pendant laquelle 1,5 million de voitures avaient été produites.

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  • L’actualité du Manifeste communiste...

    Cet article est issu d’une soirée du Centre d’études marxistes. Ces réunions visent à la fois un objectif d’autoformation et de réflexion critiques. Elles empruntent donc beaucoup à des travaux préexistants de camarades issu·es ou non de notre courant.

    Pourquoi lire, relire et débattre de ce texte de 1848 ? Il est le produit d’un endroit, l’Europe, et d’une époque, le 19e siècle, dans lesquels se développent le capitalisme et un mouvement ouvrier très divers. Il y a des traits communs en ce début du 21e siècle : l’absence de projet politique émancipateur porté par les masses, et l’éclatement des salarié·es, des organisations ouvrières. 

    Ce qui permet à ce court texte de garder dans ses grands traits une force et une actualité remarquables, c’est qu’il expose dans un style clair et flamboyant une nouvelle conception du monde, « le matérialisme conséquent étendu à la vie sociale, la dialectique, science la plus vaste et la plus profonde de l’évolution, la théorie de la lutte des classes et du rôle révolutionnaire dévolu dans l’histoire mondiale au prolétariat, créateur d’une société nouvelle, la société communiste »1 qui démontre sa pertinence pour comprendre la domination bourgeoise, les moyens d’agir pour construire une société émancipée, débarrassée de l’exploitation et des oppressions.

    Un apport fondamental

    Il est parfaitement résumé par Engels dans la préface à l’édition de 1883, écrite après la disparition de Marx : « L’idée fondamentale et directrice du Manifeste, à savoir que la production économique et la structure sociale de chaque époque historique qui en résulte nécessairement, forment la base de l’histoire politique et intellectuelle de cette époque ; que, par suite [...], toute l’histoire a été une histoire de luttes de classes, de luttes entre classes exploitées et classes exploitantes, entre classes dominées et classes dominantes, [...] mais que cette lutte a actuellement atteint une étape où la classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut plus se libérer de la classe qui l’exploite et l’opprime (la bourgeoisie), sans libérer en même temps et à tout jamais la société entière de l’exploitation, de l’oppression et des luttes de classes ; cette idée maîtresse appartient uniquement et exclusivement à Marx »2

    Les conséquences de cet apport sont considérables. Les classes sociales en lutte ne sont pas des institutions sociales « permanentes ». Elles sont le produit à chaque étape déterminée du développement économique, des modalités de la répartition des richesses et des formes de l’affrontement entre les classes. Tant la classe exploitée et opprimée que la bourgeoisie connaissent des évolutions, des ruptures.

    Les rapports sociaux en révolution constante 

    La bourgeoisie est le produit d’un long développement. Née au Moyen Âge, elle s’est développée sous la féodalité et dans quelques pays dont la France dans la colonisation, la traite négrière. Elle continue de se modifier en permanence car elle « ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, donc l’ensemble des rapports sociaux »3. D’où l’importance de l’analyse concrète de chaque situation. 

    Les débats actuels entre les différentes options capitalistes, la compétition entre les secteurs aux intérêts parfois opposés montrent l’actualité de cette approche matérialiste des classes sociales. La bourgeoisie qui domine le monde est bien autre chose qu’une somme de patrons et l’exploitation économique. C’est une puissance sociale qui organise la production, qui est en dernière analyse le produit de toute la société, et de ce fait domine, structure l’ensemble des relations sociales et l’impact de la société sur la nature

    Les Hommes et les femmes font leur propre histoire

    Affirmer qu’il n’existe pas d’essence humaine en dehors des rapports sociaux a des conséquences majeures. Les hommes et les femmes d’une période donnée, les formes de l’exploitation, des oppressions, l’histoire politique, les luttes, sont les produits des rapports sociaux.

    Dès lors que la société produit l’être humain, elle est en retour produite par son action ; les luttes, les révoltes des exploité·es et des opprimé·es modifient ces rapports sociaux. Par leur action, les hommes et les femmes font donc leur propre histoire. 

    Non pas que la révolution soit en tout temps et tout lieu possible. Mais rien n’est inéluctable. Dans chaque situation il n’y a jamais une seule possibilité : le processus historique concret dépend des luttes des dominé·es, de leur conscience collective, de leur organisation.

    La libération de chacun·e est la condition de la libération de toutes et tous

    Comme l’histoire n’est pas écrite à l’avance, il est possible de se débarrasser de l’exploitation et de l’aliénation en sortant du capitalisme dans lequel le travail vivant ne sert qu’à augmenter les richesses des possédants, il est possible de construire une société dans laquelle « le travail accumulé n’est qu’un moyen d’enrichir et de promouvoir le processus vital des travailleurs »4. Pour cela il faut abolir la propriété privée, car elle est l’appropriation de l’essence humaine. Lorsque Marx se déclare communiste dans les Manuscrits de 1844, il exprime magnifiquement cette idée force : « l’abolition positive de la propriété privée, l’appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l’homme hors de la religion, de la famille, de l’État, etc., à son existence humaine, c’est-à-dire sociale »5. Il y a bien, pour construire une société émancipée, un lien entre l’abolition de la propriété privée et la suppression de l’aliénation. 

    Il est frappant de voir à quel point le bilan des révolutions du 20e siècle le confirme. La propriété privée capitaliste a été abolie en Russie, en Chine, sans instauration du socialisme. Il ne suffit donc pas de prendre le pouvoir, de nationaliser les moyens de production pour produire mécaniquement une société émancipée. La transformation révolutionnaire de la société impose d’autres modifications, par la démocratie, l’auto-émancipation, pour instaurer une « association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous »6, définition toujours pertinente du monde que nous voulons construire.

    L’action communiste

    Mais pour abolir la propriété privée existante, en finir avec la bourgeoisie, il faut plus que des idées, il faut une action communiste.  

    Le prolétariat, la classe des exploité·es et des opprimé·es est potentiellement révolutionnaire, exprime le mouvement de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité, mais elle n’est pas mécaniquement victorieuse. Selon le Manifeste, « le premier pas dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante »7

    D’où la présentation du rôle des communistes qui « ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers […] n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat […] n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier »8, ils ne se distinguent qu’en faisant valoir les intérêts du prolétariat mondial, du mouvement dans sa totalité. 

    Marx et Engels combattent les sectes, ces courants qui ont comme raison d’être, non ce qu’ils ont de commun avec le mouvement, mais les « principes particuliers » qui les distinguent. En 1848, la Ligue des communistes est une fraction qui doit stimuler les autres. Lors de la fondation de la première Internationale en 1864, il n’existe plus d’organisation communiste, ils y militent sans organisation spécifique et combattent les sectes en son sein.

    Le Manifeste n’aborde pas la question cruciale du processus de construction de la conscience de classe, la conscience communiste, et laisse entendre qu’elle se produit naturellement. Ce point sera complété magistralement par Lénine, 54 ans plus tard, dans Que Faire qui précise le rôle des communistes : « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. Le seul domaine où l’on pourrait puiser cette connaissance est celui des rapports de toutes les classes et couches de la population avec l’État et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre elles »9.

    La prise de pouvoir politique pour arracher le capital à la bourgeoisie

    Le mode de domination capitaliste ne peut être renversé que par une révolution qui érige le prolétariat en classe dominante, et l’émancipation économique s’obtient par la conquête du pouvoir politique. Mais cela passe-t-il par la prise du pouvoir d’État existant ? 

    La Commune de Paris en 1871 va tout modifier. Dès le 12 avril 1871, Marx écrit « la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire. C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent »10, position qu’il détaillera ensuite en affirmant que la forme politique de la Commune est susceptible d’extension.

    Postérité et limites

    Si les principes généraux du Manifeste gardent toute leur pertinence, dès les préfaces des éditions suivantes, Marx et Engels pointent les points qu’il faudrait revoir, logiquement, leur application dépendant des circonstances historiques. Cependant deux aspects nécessitent une réévaluation.

    La victoire inéluctable du Prolétariat ?

    Le Manifeste est péremptoire : « le développement de la grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d’appropriation. Avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables »11. Cette idée que la victoire inévitable d’un prolétariat toujours plus nombreux avec des partis et des syndicats de plus en plus forts était omniprésente.

    Force est de constater que l’accroissement numérique du prolétariat à l’échelle mondiale ne se traduit pas automatiquement par une augmentation de la conscience collective et le mouvement ouvrier ne connaît pas une progression linéaire. Déjà la trahison de la Deuxième Internationale à l’entrée de la Première Guerre mondiale avait été un choc pour tous les marxistes révolutionnaires, et Rosa Luxembourg avançait dès 1915 une idée révolutionnaire : « socialisme ou barbarie »12. Un siècle après, avec les crises écologiques, cette notion prend une autre ampleur qui valide l’expression reprise par Michael Löwy : la révolution est le frein d’urgence13.

    La domestication de la nature ?

    Les formules du Manifeste sur la domestication des forces de la nature, l’utilisation de la chimie dans l’industrie et l’agriculture montrent que l’époque n’est pas à la prise en compte des dégâts du productivisme. Ce culte du progrès dominant dans différentes variantes socialistes et staliniennes du marxisme tout au long du 20e siècle oublie que les forces productives ne sont pas neutres. 

    Pourtant les Manuscrits de 1844 de Marx développent l’idée que la rupture radicale de l’unité entre l’être humain et la nature est à l’origine de la vie aliénée moderne, d’où l’expression de « l’idée émancipatrice de la réunification de l’humanité et de la nature sous la forme humanisme = naturalisme »14.

    A partir de 1865-66, il découvre les problèmes de l’épuisement des sols, et la rupture métabolique entre les sociétés humaines et la nature, ce qui l’amène à écrire : « chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; [...] La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en sapant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur »15. Le progrès peut donc être destructif, l’exploitation et l’abaissement des travailleurs et de la nature résultent d’une même logique prédatrice. Cette sensibilité ne donne pas à Marx une perspective écologique d’ensemble, mais corrige les excès de la théorie du progrès.

    En guise de conclusion provisoire

    Dans une période historique où il est plus fréquent de parler de fin du monde que de fin du capitalisme, où les questions de tactique politique, voire politicienne, dominent, où la déstructuration de collectifs ouvriers et des organisations du mouvement ouvrier du 20e siècle pose la question centrale de la constitution de la classe des exploité·es et des opprimé·es en classe consciente de son rôle émancipateur, la lecture, relecture de ce texte fondamental est une véritable source d’inspiration. 

    Agir en gardant l’objectif de libérer la société toute entière de l’exploitation des oppressions donne à nos combats aux côtés des exploité·es et des opprimé·es une autre ampleur de vue, la seule qui permet d’augmenter la lucidité et donc les chances de succès.

    Patrick Le Moal

    • 1. Lénine
    • 2. K. Marx et F. Engels, Manifeste du parti communiste. Éd. Sociales, 2023, p. 105.
    • 3. Idem, p. 55.
    • 4. Idem, p. 70.
    • 5. K. Marx, Manuscrits de 1844. Éd Flammarion, 2021. 
    • 6. K. Marx et F. Engels, ibid., p. 78.
    • 7. Idem, p. 76.
    • 8. Idem, p. 67.
    • 9. Lénine, Que faire ? 1905.
    • 10. Lettre du 12 avril 1871 de Marx à Kugelmann 
    • 11. K. Marx et F. Engels, ibid., p. 67.  
    • 12. R. Luxembourg, La crise de la social-démocratie, plus connu sous le nom de Brochure de Junius, 1915.
    • 13. M. Löwy, La révolution est le frein d’urgence : Essais sur Walter Benjamin. Éd. de l’éclat, 2019.
    • 14. K. Saïto, La nature contre le capital. Éd. Syllepse, 2016.
    • 15. K. Marx, Le Capital Livre I. 1867.
  • Affaire Angelo Garand, l’impunité à l’échelle européenne...

    En 2017, Angelo Garand, un homme de 37 ans issu de la communauté des gens du voyage, est abattu par les gendarmes du GIGN à Seur, dans le Loir-et-Cher. La récente décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), rendue le 6 mars 2025, démontre l’alignement de cette institution avec l’État français dans le maintien de l’impunité policière.

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  • États-Unis : Quelle est la distance qui nous sépare du fascisme ?

    Quelle est la distance qui nous sépare du fascisme ?

    La question largement débattue aujourd’hui en Amérique parmi la moitié du pays qui a voté pour les démocrates ou qui se considère comme progressiste, et parmi celles et ceux qui se situent à l’extrême gauche, est la suivante : « Donald Trump a-t-il créé un régime autoritaire en l’espace de quelques mois ? Et à quel point sommes-nous proches du fascisme ? »

    Tous les journaux télévisés et radiophoniques, toute la presse écrite traditionnelle et les médias sociaux débattent de cette question. Les preuves s’accumulent pour répondre à la question : Trump a instauré un régime autoritaire et nous nous dirigeons vers le fascisme. Qu’est-ce qui vient étayer l’idée que la démocratie traditionnelle et la séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) sont en péril grave ?

    Vers une dictature techno-politique ?

    Trump et les Républicains contrôlent la présidence et les deux chambres du Congrès et le président a nommé une grande partie de la Cour suprême de droite qui a donné au président l’immunité contre les poursuites pour les actes officiels commis pendant qu’il était en fonction. Le Congrès a de fait cédé son pouvoir. Aucun des Républicains du Congrès susceptibles d’être en désaccord avec Trump n’a voulu lui tenir tête, de peur qu’il ne détruise leur carrière politique. Le Parti démocrate national, dont la direction est divisée, n’a élaboré aucun plan de résistance au Congrès ou devant les tribunaux.

    Trump a créé le Department of Government Efficiency (DOGE), qui n’est pas un véritable service gouvernemental, et a nommé le milliardaire Elon Musk à sa tête. Musk a fermé des agences créées par le Congrès, mis fin à des programmes gouvernementaux de protection sociale et licencié des dizaines de milliers d’employéEs fédéraux. Trump et Musk affirment qu’ils éliminent la fraude, le gaspillage et les abus, bien qu’ils n’aient jusqu’à présent présenté aucune preuve à l’appui de cette affirmation. Certes, le peuple américain a élu Trump et donné aux Républicains une majorité au Congrès, mais le travail de Musk est clairement un coup d’État, une prise de contrôle inconstitutionnelle et illégale du gouvernement.

    Trump s’arroge également le droit d’annuler des dépenses votées par le Congrès, ce qui constitue une violation de la Constitution, qui stipule qu’il doit exécuter fidèlement la loi.

    Trump défie la justice

    À ce jour, 132 actions en justice ont été intentées contre l’administration Trump pour ses actions illégales, et dans plusieurs d’entre elles, les tribunaux ont émis des injonctions arrêtant temporairement Trump et Musk et les obligeant même à rouvrir des agences ou à réembaucher des travailleurs licenciés. Trump a demandé — et c’est inédit — la destitution de ceux qu’il appelle les « juges fédéraux voyous », c’est-à-dire les juges qui prennent des mesures qui le bloquent. Le président de la Cour suprême, John Roberts, a réprimandé Trump en déclarant que la destitution n’était pas une réponse appropriée à un différend concernant une décision judiciaire. Dans certains de ces cas, Trump et son équipe semblent être sur le point de résister aux ordres des tribunaux, ce qui engendrerait une crise constitutionnelle et marquerait clairement la fin des normes gouvernementales démocratiques.

    Il musèle les libertés

    Dans le même temps, Trump, Musk et les législateurs républicains, ainsi que les influenceurs des médias de droite, appellent à la destitution des juges fédéraux et publient en ligne des informations personnelles les concernant, telles que leur adresse personnelle. Des juges et leurs familles ont reçu des menaces de mort et beaucoup vivent désormais dans la peur.

    Trump s’en prend également aux universités, menaçant d’expulsion les étudiantEs activistEs néEs à l’étranger, comme Mahmoud Khalil, étudiant à Columbia, supprimant ainsi la liberté académique et la liberté d’expression.

    Il veut aussi faire taire les médias. Dans un discours prononcé au ministère de la Justice, il a déclaré : « Je pense que CNN et MSNBC, qui écrivent littéralement 97,6 % de mauvaises choses à mon sujet, sont des bras politiques du parti démocrate et, à mon avis, ils sont vraiment corrompus et illégaux. Ce qu’ils font est illégal ». Trump a fermé le média international du gouvernement, Voice of America, et a également interdit à l’Associated Press (AP) d’assister aux conférences de presse, parce qu’elle a refusé de changer le nom du Golfe du Mexique en Golfe de l’Amérique. Nous vivons désormais dans un régime autoritaire, et le fascisme semble se profiler à l’horizon.

    Dan La Botz, traduction Henri Wilno

  • Le Manifeste, un texte vivant !

    Cet article est issu d’une soirée du Centre d’études marxistes. Ces réunions visent à la fois un objectif d’autoformation et de réflexion critiques. Elles empruntent donc beaucoup à des travaux préexistants de camarades issu·es ou non de notre courant.

    Le Manifeste du parti communiste, rédigé à la veille de la révolution de 1848, est l’œuvre de Marx (et d’Engels, même si son rôle est moindre) la plus célèbre et la plus diffusée dans le monde. En dépit de sa notoriété, ce bref texte n’a rien d’un traité de théorie politique à vocation universelle. Pourtant son souffle révolutionnaire porte ce texte au-delà de son temps et c’est précisément parce qu’il est né de circonstances singulières qu’il continue de s’adresser à nous.

    Pour éclairer ce paradoxe, il importe de revenir tout d’abord sur les conditions de la rédaction du Manifeste, avant d’en venir à deux de ses thèmes centraux : d’abord la question de la lutte de classe et du « parti », ensuite celle de la réappropriation communiste. Car le communisme, pour Marx dès cette époque, ne désigne pas un projet clé en main mais un effort long, pour renverser toute domination de classe, se réapproprier nos activités sociales et bâtir un autre monde. « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » : c’est sur cet appel à la mobilisation qu’il se clôt, qui n’a jamais été aussi urgent qu’aujourd’hui. 

    Le prélude à la révolution de 1848

    À la veille de 1848, l’Allemagne est morcelée. Marx est né en Rhénanie, où les armées de la Convention imposèrent pour un temps le droit révolutionnaire, avant son annexion par la Prusse, État féodal et policier, à l’occasion du Congrès de Vienne. Dans cette région rurale mais marquée par un relatif développement économique et par des inégalités croissantes, la contestation apparaît tôt.

    Ainsi, en 1832 à Hambach, non loin de Trèves, sa ville natale, un rassemblement politique réunit près de 30 000 personnes pendant deux jours. On y revendique la liberté de culte, une Constitution, l’unité allemande et certains participants osent même évoquer une prochaine révolution armée. En 1835, le poète Georg Büchner rédige le premier manifeste de la révolution sociale en Allemagne, lançant le mot d’ordre fameux : « paix aux chaumières, guerre aux palais ! ». C’est aussi dans cette culture allemande rebelle que s’enracine le Manifeste.

    Tandis que ces soulèvements populaires sont tous violemment réprimés par le pouvoir prussien, une presse critique émerge progressivement, porteuse des intérêts libéraux mais aussi d’aspirations démocratiques. Marx, devenu proche des mouvances contestataires d’obédience hégélienne, va s’impliquer en 1842 (à 24 ans) dans ce journalisme d’enquête et d’opinion, accédant très vite un rôle dirigeant au sein de la Gazette rhénane.

    En 1843, après l’interdiction de la Gazette rhénane par le pouvoir prussien, Marx rompt avec un camp libéral qui ne fut jamais le sien et qui s’est révélé incapable de s’opposer à la censure. Il s’exile à Paris, capitale de la révolution non sans avoir rédigé auparavant un grand nombre de travaux, dont une critique détaillée de la conception hégélienne de l’État. 

    À Paris, il fait la rencontre d’Engels, qui se revendique depuis longtemps du socialisme. Horrifié par ses orientations politiques, son père l’a envoyé à Manchester dans l’une des filatures dont il est propriétaire. Mais là-bas, son expérience du monde industriel (ainsi que sa rencontre avec Moses Hess) le conduit à se revendiquer, avant Marx, du communisme. Le terme, sans être clairement défini, désigne avant tout le rejet de la propriété privée dans un contexte de débats intenses autour des options socialistes, communistes et anarchistes qui se répandent en Europe. 

    Pour sa part, Engels est surtout marqué par les grèves qui, lors de la crise économique de 1842, avaient rassemblé plusieurs millions d’ouvriers anglais, ces contradictions étant selon lui vouées à déboucher sur la révolution sociale. Apparu à la fin des années 1830, le chartisme constitue en effet la première organisation de masse en Europe, alors que les partis politiques modernes n’existent pas. L’option de Marx est d’emblée un peu différente : il considère que la révolution sociale doit aussi être une révolution politique et plus encore une révolution de la politique, à l’encontre de sa confiscation sous la forme d’un État séparé, retourné contre les travailleurs. 

    Dans ce contexte, Marx conçoit la montée des idées révolutionnaires comme le résultat de contradictions historiques dont elles ne sont cependant jamais le simple reflet : elles peuvent dans certains cas contribuer à inventer et à orienter l’avenir, tout en étant déterminées par les circonstances présentes. Le Manifeste se veut un texte d’intervention, qui vise à transformer conjointement et l’un par l’autre le savoir et l’action. D’où l’optimisme extrême de ce texte flamboyant : à l’orée du soulèvement européen de 1848, tout semble possible !

    Ce texte militant n’en est pas moins un grand texte théorique et prospectif : le terme de communisme nomme avant tout une invention collective permanente, qui vise à restituer aux êtres humains la maîtrise de leur vie sociale et individuelle et non une utopie. Marx a identifié le prolétariat comme le principal acteur de la révolution à venir, qui, en s’alliant aux autres exploité·es, abattra les restes du féodalisme en même temps que le capitalisme en formation, ultime forme de la domination de classe, centré sur la dépossession radicale des travailleurs.

    Le Manifeste se fait l’écho de toutes les contradictions de son temps. Lors du Congrès de Vienne de 1815, les grandes puissances ont redessiné la carte de l’Europe et celle du monde. Mais cette Europe redécoupée disperse les peuples et les écrase, attisant à la fois les revendications de libération nationale et de justice sociale. Sur le plan mondial, l’Occident impose sa domination au reste du monde alors que le capitalisme entame son expansion planétaire : le Manifeste anticipe sur ce processus de mondialisation. La colonisation et l’esclavage lié au commerce triangulaire constituent la conséquence de sa lente émergence, mais ils accélèrent en retour son essor. Et la crise en cours est aussi économique, devenue périodique en dépit de l’essor de la production.

    L’instabilité de cet édifice est sans précédent : à partir de 1830, les vagues révolutionnaires se succèdent à travers le monde et le Manifeste, qui souhaite accélérer et accompagner le processus révolutionnaire, se propose de fournir une analyse historique cohérente de cette réalité et de ses contradictions. Car ce sont ces contradictions qui ouvrent des brèches dans l’histoire et esquissent des possibilités inédites d’émancipation collective. Mais à la condition de les comprendre et d’agir en leur sein, de façon résolue, consciente et organisée. En dépit de toute la distance qui nous sépare de cette époque, cette tâche est plus que jamais actuelle : elle se nomme lutte de classes

    Lutte de classes et parti de classe

    Dans le Manifeste, la lutte de classe est centrale, motrice et ses premières lignes sont restées fameuses : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes ». Les classes sont non des entités immuables mais le produit de cette lutte, constante, contradictoire. Mais elles sont aussi fonction de la place des groupes sociaux au sein de la production des richesses. Enfin, elles se caractérisent par des formes de conscience plus ou moins élaborées, qui rendent possible la construction de leurs intérêts propres en tant que forces politiques. Avec qui s’unir, comment et jusqu’à quel point, dans quel but ? Ces questions politiques et stratégiques traversent de part en part ce texte. 

    Dans ce monde en mutation d’avant 1848, la colère des populations confrontées aux injustices et à la misère croît depuis longtemps. Cette longue fermentation de la révolte a donné naissance à des courants politiques contestataires, en voie de modernisation. Leurs buts sont distincts sans être forcément incompatibles : le courant libéral revendique une Constitution associée à un système parlementaire censitaire tandis que la tendance démocrate en appelle à une république octroyant des droits politiques plus larges. De son côté, une mouvance égalitaire radicale, issue du babouvisme, appelle à la révolution sociale. 

    La Ligue des Justes appartient à cette dernière mouvance. Lorsque Marx et Engels s’en rapprochent, celle-ci existe depuis plus de dix ans et regroupe des artisans et des ouvriers allemands émigrés, organisés en Suisse, à Paris et à Londres. À Paris, la Ligue a participé à l’insurrection blanquiste de mai 1839 et elle a subi la violente répression qui a suivi son échec. De son côté, le groupe suisse est dirigé par Wilhelm Weitling, adepte d’un communisme d’inspiration chrétienne et babouviste, peu soucieux de rigueur théorique mais partisan charismatique de la voie insurrectionnelle. Quant aux dirigeants londoniens de la Ligue, ils défendent une ligne moins offensive et souhaitent avant tout transformer l’organisation secrète initiale en formation légale. Pour Marx et Engels cet objectif est parfaitement compatible avec une option ouvertement révolutionnaire.

    Engels rappellera par la suite que la condition qui avait été mise par Marx et lui-même à leur participation : la suppression « du culte superstitieux des autorités ». Ainsi leur victoire est-elle avant tout stratégique, démocratisant le fonctionnement interne de la Ligue en imposant l’instance décisionnelle du congrès. Fermant la voie à toute « velléité de conspiration », cette forme d’organisation est désormais « absolument démocratique » dira Engels, imposant le statut de dirigeants élus et révocables. Elle « transformait la Ligue, du moins pour les temps de paix ordinaires, en une simple société de propagande ». 

    En vertu de ce but, une telle structure reste très éloignée des partis modernes et notamment des organisations puissantes de la social-démocratie allemande et autrichienne de la fin du 19e siècle. La Ligue des Justes, rebaptisée Ligue des Communistes, reste une petite formation rassemblant surtout des intellectuels et des artisans- ouvriers, éloignés des prolétaires industriels. Pourtant, elle constitue bien l’embryon d’une organisation nouvelle, ouverte et internationale, qui se met au service du combat spécifiquement politique de la classe ouvrière.

    Lorsque la révolution éclate le rôle de la Ligue et plus généralement de ceux qui se réclament du communisme est peu important. À la suite de l’échec de la révolution, la répression va s’abattre violemment et durablement sur les militants et les organisations ouvrières. En revanche les questions posées par Marx et Engels demeurent et elles expliquent que le Manifeste, d’abord peu diffusé, connaisse ensuite une diffusion de masse : qu’est-ce qu’une organisation révolutionnaire ? Quel est son rôle ? Quelles sont ses structures ?  

    Dans le Manifeste, les communistes sont « la fraction la plus consciente des partis ouvriers ». En 1850 et après la trahison des partis démocrates, Marx optera pour la formation d’organisations autonomes de la classe ouvrière. Mais jamais ni lui ni Engels n’envisageront en doctrinaires les questions tactiques et stratégiques. Jamais ils ne cultiveront le fétichisme de l’organisation. Le but final prime sur les outils de la lutte même si de tels moyens — des organisations structurées — sont à leurs yeux indispensables. Il y existe non une science mais un « art stratégique », comme l’a si fortement dit Daniel Bensaïd. 

    Le communisme, pour se réapproprier nos vies

    La grande modernité du Manifeste, en dépit de son caractère par endroits daté, se trouve dans la perspective de la réappropriation, qui dépasse de loin la seule disparition de la grande propriété. Cette thèse, propre à Marx, traverse toute son œuvre. 

    D’une part, il ne se contente pas d’annoncer la révolution ou de l’appeler de ses vœux, il souligne la nécessité de l’action politique, au sens neuf du terme, ainsi que l’importance décisive que revêt la prise de conscience, comme condition de la victoire des classes dominées. Or cette prise de conscience passe par la réappropriation d’un savoir, monopolisé par les classes dominantes et produit à son usage, formaté par ses préoccupations économiques, sociales et politiques. 

    D’autre part, Marx s’était depuis longtemps employé à une critique de l’État en tant qu’instance séparée, scindée de la vie économique et sociale : c’est la gestion collective qu’il confisque. Marx va passer de l’idée de sa conquête à celle de son « bris », au profit d’un « pouvoir public », autogouvernement démocratique dont la Commune de Paris lui fournira l’esquisse. Car conquérir l’État c’est bien souvent être conquis par sa logique : la terrible histoire ultérieure du « communisme » en témoigne...

    En ce même sens, le communiste concerne la transformation en profondeur de l’ensemble des activités sociales et non la simple répartition égalitaire des richesses produites : il s’agit d’engager un processus de réappropriation de fonctions dont le capitalisme opère le détournement au profit des classes dominantes. Cette réappropriation est un but, mais elle est aussi une condition majeure de la révolution si on conçoit celle-ci non comme un « grand soir » mais comme un processus lent et complexe, comme la réorganisation collective et rationnelle de toute la vie économique et sociale. Autrement dit, c’est tout de suite qu’il s’agit de se ré-emparer de sa vie et c’est tout l’enjeu, immédiat, des luttes et des mobilisations pour enclencher cette construction difficile. 

    À cette occasion, Marx énonce une autre thèse majeure, inséparable de ce qui précède et qui place le communisme aux antipodes de tout collectivisme de caserne : il s’agit de construire « une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ». Se réapproprier nos activités sociales contre la privatisation capitaliste du monde, c’est aussi se réapproprier nos vies, notre temps libre, condition de notre émancipation personnelle, confisqués et saccagés par un capitalisme plus féroce que jamais. Le Manifeste précise la définition donnée en 1845 dans l’Idéologie allemande : « le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes ».

    Ce communisme de la réappropriation va bien au-delà d’une simple redistribution. Il consiste dans la refonte des rapports sociaux de production et de reproduction, il porte sur la vie même, en y incluant la nature. La grande actualité du Manifeste est là : ces questions sont à la fois des buts et des leviers de la lutte et de la mobilisation anticapitaliste. Se battre contre l’exploitation, le sexisme, le racisme et toutes les dominations de classe en leurs mille variantes, c’est se battre pour nous, chacun·e et ensemble, en esquissant dès maintenant la figure d’un monde meilleur. Et nos organisations doivent désormais être vraiment à la hauteur de ces buts.  Décidément, le Manifeste, texte vivant et inclassable, foudroyant, est à lire et à relire. 

    Isabelle Garo

    * Isabelle Garo, philosophe, marxiste, est l’autrice de Communisme et Stratégie (éditions Amsterdam, 2019) ainsi que de nombreux ouvrages sur Marx, et récemment d’une riche introduction de la nouvelle édition du Manifeste du Parti communiste aux éditions Sociales, également préfacée par Éric Vuillard. Cette édition reprend une bonne traduction du Manifeste.

  • Abolir le capitalisme sans prendre le pouvoir politique ?

    Le livre de Bernard Friot et Bernard Vasseur Le communisme qui vient1 ouvre le débat sur  les conquêtes sociales et leurs représentations dans notre imaginaire collectif. Au-delà des avantages qu’elles représentent, il nous parait nécessaire de discuter fraternellement avec les auteurs des portées symboliques qu’ils leur donnent.

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  • Entretien avec Enzo Traverso...

    Historien de renommée mondiale, Enzo Traverso répond aux questions de Manon Boltansky et Olivier Besancenot.

    À l'occasion de son dernier livre, "Gaza devant l'Histoire", il revient sur le génocide en cours à Gaza, l'attitude d'Israël vis-à-vis de la mémoire de l'Holocauste. L'occasion aussi pour lui d'évoquer le colonialisme et les nationalismes européens qui sont aux origines du sionisme, ainsi que la compréhension de la question juive par les courants marxistes depuis le XIXè siècle.

  • « Vous êtes un anarchiste pro-guerre »...

    Nous publions en français le texte de Solidarity Collectives paru le 20 mars.

    Nous avons entendu cela tant de fois. Tant de fois nous avons dû expliquer que la guerre est une horrible tragédie pour tous ceux qui vivent en Ukraine, et que nous voulons plus que tout parvenir à la paix. Une paix durable et juste. Mais voici la principale raison qui nous en empêche : la Fédération de Russie, qui continue de s’emparer de territoires ukrainiens et de rayer des villes entières de la surface de la terre. Aujourd’hui, le monde entier peut en être témoin.

    Les conditions du cessez-le-feu peuvent difficilement être qualifiées d’équitables (20 % des terres ukrainiennes restent occupées, environ 16 000 prisonniers de guerre se trouvent dans les prisons russes et la reconstruction d’après-guerre coûtera à l’Ukraine entre 0,5 et 1 000 milliards d’euros). Malgré cela, l’Ukraine se déclare prête à un cessez-le-feu temporaire, première étape vers un accord de paix à long terme. La Russie, en revanche, se montre peu disposée à participer à ce processus. Et le « mais » sera suivi d’un millier de raisons pour lesquelles même un cessez-le-feu temporaire est impossible, et pourquoi les troupes russes doivent continuer à avancer en Ukraine.

    Nous aimerions que tous ces « anti-guerre de gauche » qui ont passé tant de temps à critiquer la fourniture d’armes à l’Ukraine « au nom de la paix » prennent enfin conscience de l’autre côté du conflit. Le véritable responsable du déclenchement de cette guerre, qui dure depuis trois ans, est le régime autoritaire russe. Et, à tout le moins, de les voir cesser de blâmer la victime et de critiquer les livraisons d’armes. Qu’ils réalisent que la capture de territoires coûte la vie non seulement aux militaires, mais aussi aux civilEs, car pour ces derniers, la guerre ne s’arrête pas au début de l’occupation.

    Nous suivons de près les événements politiques mondiaux, mais nous savons que la véritable résistance à l’agresseur est le fait du peuple ukrainien et des soldats volontaires internationaux, dont nos camarades. Ce sont leurs efforts extraordinaires qui permettent aux politiciens occupant de hautes fonctions de discuter entre eux, de faire la paix et de discuter des conditions. Continuons donc à soutenir nos combattants et n’oublions jamais de quel côté devrait se trouver aujourd’hui tous ceux qui aspirent à une paix véritable, et non à la capitulation devant les empires.

  • Pour une stratégie révolutionnaire au 21e siècle...

    Cette contribution vise à lancer la discussion sur l’actualisation des conceptions stratégiques de notre courant, c’est-à-dire les façons dont nous envisageons une transformation révolutionnaire de la société, qui en finirait avec le capitalisme. C’est avec cette visée lointaine que nous orientons notre militantisme au quotidien.

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